Les Inrockuptibles

Toujours là pour toi de Maggie Friedman

Une histoire d’amitié féminine couvrant plusieurs décennies. Classique mais attachante.

- Toujours là pour toi de Maggie Friedman, avec Sarah Chalke et Katherine Heigl. Sur Netflix Olivier Joyard

IL EST PARFOIS AGRÉABLE DE SE CONFRONTER À DES SÉRIES qui ne nous ont rien demandé : ni concentrat­ion monacale, ni avis théorique profond, ni amour immédiat. Des séries un peu paumées dans le flux, fabriquées avec plus ou moins de soin par la grande usine hollywoodi­enne et qui font subitement coucou sur notre page d’accueil Netflix. Souvent, il faut un peu de temps pour s’y mettre. Cela a été le cas ici. Adaptée d’un roman de Kristin Hannah, Toujours là pour toi ( Firefly Lane, en VO), avec son titre si premier degré, en fait d’ailleurs beaucoup pour effrayer les fans potentiel·les. Ses thèmes mainstream (l’amour hétéro, la constructi­on d’une vie sociale et profession­nelle, l’amitié féminine) sont posés sans nuance dès les premières scènes et son territoire fictionnel reste ultra-balisé autour d’un duo old school.

L’une des héroïnes est la présentatr­ice d’un talk-show télé à succès, l’autre tente de repartir dans la vie après un divorce forcément douloureux. Elles sont meilleures potes depuis leurs 15 ans. Katherine Heigl (ex- Grey’s Anatomy et En cloque, mode d’emploi, notamment) joue la première prénommée Tully, tandis que la seconde, Kate, est incarnée par Sarah Chalke. Une histoire de copines dépareillé­es, donc : l’extraverti­e sexuelleme­nt libérée (quoique) contre la bonne copine que les garçons déjà sexistes trouvent forcément moins jolie. Un pur cliché, qui ne s’excuse pas de l’être et sait malgré tout devenir attachant.

L’attachemen­t, dans une série, est une question bizarre. On pense qu’il doit arriver tout de suite ou jamais. On imagine qu’il suit des lois dramaturgi­ques inébranlab­les. Pourtant, dans Toujours là pour toi, il arrive plutôt sans crier gare, au gré d’une constructi­on du récit pompée à This Is Us où se mêlent trois époques différente­s : l’adolescenc­e de Tully et Kate dans les seventies, leurs premiers pas adultes dans les eighties et le “présent” situé en 2003.

Dans ce maelström où une porte peut se refermer un instant pour se rouvrir vingt ans plus tard, où des éclairs affectifs et temporels surgissent brusquemen­t, Tully et Kate subissent et referment des blessures avec une vitesse parfois déstabilis­ante. Elles cherchent des solutions en direct et en différé, rapiècent leur petit coeur comme elles le peuvent, en besogneuse­s de l’amour et de la vie. Leur sérialité un peu lose devient alors la nôtre, quelles que soient les grossièret­és d’écriture ou stylistiqu­es mises au service de ce projet. C’est peut-être idiot, mais on pardonne plus à cette série qu’à d’autres.

On la remercie même de n’être jamais plus que ce qu’elle s’imagine devoir être. Il y a une forme d’humilité à l’oeuvre ici qui a le goût un peu suranné de l’artisanat d’avant – un artisanat qui n’a probableme­nt jamais existé – reposant presque entièremen­t sur les épaules des comédienne­s principale­s, à chaque fois engagées physiqueme­nt et émotionnel­lement comme si leur vie en dépendait. Ce sentiment d’être pris·e au sérieux comme spectateur ou spectatric­e, regardé·e en face, nous offre déjà une bonne raison de regarder dix épisodes en quelques nuits sans sorties.

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Sarah Chalke et Katherine Heigl

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