Les Inrockuptibles

Little Birds de Sophia Al-Maria

Une libre adaptation des écrits d’Anaïs Nin qui mêle initiation érotique et émancipati­on féminine dans un cadre fantasmé à l’artificial­ité revendiqué­e.

- Alexandre Büyükodaba­s Little Birds de Sophia Al-Maria, avec Juno Temple, Yumna Marwan. Sur Starzplay

DANS LES ANNÉES 1950, LUCY SAVAGE (Juno Temple), héritière d’une famille de marchands d’armes shootée aux antidépres­seurs, quitte son cocon new-yorkais pour rejoindre son fiancé à Tanger, alors zone internatio­nale. Découvrant l’homosexual­ité de ce dernier, elle s’abandonne au tourbillon de la ville entre fêtes décadentes, frisson érotique et vapeurs opiacées. En parallèle, Cherifa Lamour (Yumna Marwan), une prostituée marocaine, tente de gagner sa liberté tandis que des officiels français, menés par le cruel Pierre Vaney (Jean-Marc Barr), intriguent pour maintenir leur emprise sur un territoire en pleine ébullition politique.

Librement adaptée du recueil de nouvelles érotiques Les Petits Oiseaux d’Anaïs Nin, dont elle saisit l’esprit plus que l’architectu­re, la mini-série Little Birds est un objet déconcerta­nt. Créée par l’artiste qataro-américaine Sophia Al-Maria et mise en scène par Stacie Passon, elle ancre ses trajectoir­es émancipatr­ices dans un terreau fictionnel daté – celui d’un Tanger romanesque et fantasmé cher aux écrivains occidentau­x – et frotte ses visions érotiques aux codes des récits d’espionnage.

De ses cadres biscornus à son montage free jazz en passant par ses aplats de lumière colorés, tous les partis pris esthétique­s de la série concourent à son artificial­ité revendiqué­e. Si l’on se laisse souvent cueillir par ses charmes hypnotique­s, glissant d’un épisode à l’autre comme on enchaînera­it des coupes de champagne servies par des personnage­s, il faut le dire, beaux comme des dieux, l’ensemble tient en équilibre précaire. Une partouze mal dosée et l’extravagan­ce prend un goût faisandé, un gimmick trop appuyé (les scènes de domination SM qui ouvrent plusieurs épisodes, ou l’accent outré des personnage­s français) et le ridicule l’emporte.

Au-delà du plaisir sensoriel et de la jouissance esthétique, quel intérêt y avait-il à investir un imaginaire aussi daté, et à y projeter des considérat­ions idéologiqu­es qui peinent à s’y exprimer pleinement ? A mesure que Lucy et Cherifa prennent conscience de la puissance de leurs désirs, la domination qu’elles subissent fait écho à d’autres rapports de force, politiques, coloniaux ou financiers, dont les leviers sont réunis dans les mêmes mains : celles des pères, réels (Grant Savage, le père de Lucy) ou symbolique­s (le secrétaire Vaney), dont il faudra bien finir par se débarrasse­r, si possible avec panache, et un soupçon de stupre.

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Juno Temple

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