Le shoegaze
De la fin des années 1980 à aujourd’hui, IDENTIFICATION D’UN STYLE en six points clés.
Analyse d’un style en six points clés
1. LE SHOEGAZE N’EST PAS DU BRUIT
Avant de dire ce qu’est une chose, il est parfois bon de dire ce qu’elle n’est pas. Et cette chose, le shoegaze, n’est pas du bruit. Même la musique étiquetée “noise” – qu’elle soit japonaise (Merzbow), à tendance industrielle, expérimentale, hardcore et rock (Throbbing Gristle, Swans, Pharmakon, Sonic Youth), ou encore passée au crible des feedbacks de guitare insoutenables du Metal Machine Music (1975) de Lou Reed – n’est pas à proprement parler du bruit, dans la mesure où ces jeunes gens manipulent une matière sonore amplifiée.
Dans les grandes lignes, la musique noise se distingue d’autres genres musicaux par une absence de mélodie, une structure évolutive en apparence irrationnelle et une rythmique minimale, voire quasi inexistante. Trois éléments que l’on retrouve bel et bien ancrés dans le cahier des charges de groupes estampillés “shoegaze”, comme Pale Saints, Slowdive ou encore Lush, qui demeurent des groupes pop. Que My Bloody Valentine expérimente de longues phases de bruit blanc – dont cette fameuse section intitulée Holocaust calée en live au mitan du titre You Made Me Realise – ne change rien à l’affaire : des motifs bruitistes se dissimulent de toute évidence dans chaque recoin de la musique enregistrée depuis ses balbutiements.
L’écoute, prolongée ou non, de certains titres de The Jesus and Mary Chain ou de MBV, deux groupes considérés comme les parrains de la scène shoegaze, peut sembler parfois inconfortable, notamment à cause du son abrasif des guitares, qui crée un brouillard sonore opaque, nébuleux, voire monolithique. Rien qui ne puisse pour autant dissimuler la véritable nature d’un genre profondément romantique, empreint d’une certaine fragilité, et en perpétuelle quête mélodique – même si celle-ci implique quelques détours.
2. DISTORSIONS ET EFFETS
EN TOUT GENRE
Le shoegaze, mouvement esthétique protéiforme et nébuleux comme une matinée d’hiver sur le port de Belfast, est aussi une histoire de machines. Son nom lui vient d’ailleurs de cette tendance tenace que les groupes estampillés comme tels ont de regarder leurs pompes au lieu de toiser le public comme le font les punks. Ils regardent en réalité la constellation de pédales d’effets au pied du micro, et non pas leurs pieds. Contrairement aux punks, là encore, les shoegazers ne fracassent pas leur Fender Jazzmaster, il·elles la torturent en la passant à la moulinette de toutes sortes de traitements : distorsion, fuzz, réverbération, saturation, chorus, recours intensif au vibrato (voyez les vidéos de Kevin Shields en live).
Des usages que l’histoire du rock a peaufinés au fil du temps, du bourdonnement des guitares des garageux·euses sixties au chorus chez The Cure, en passant par les cinquante nuances de fuzz du rock à tendance psychédélique. Sans oublier l’influence