Les Inrockuptibles

Le shoegaze

De la fin des années 1980 à aujourd’hui, IDENTIFICA­TION D’UN STYLE en six points clés.

- TEXTE François Moreau

Analyse d’un style en six points clés

1. LE SHOEGAZE N’EST PAS DU BRUIT

Avant de dire ce qu’est une chose, il est parfois bon de dire ce qu’elle n’est pas. Et cette chose, le shoegaze, n’est pas du bruit. Même la musique étiquetée “noise” – qu’elle soit japonaise (Merzbow), à tendance industriel­le, expériment­ale, hardcore et rock (Throbbing Gristle, Swans, Pharmakon, Sonic Youth), ou encore passée au crible des feedbacks de guitare insoutenab­les du Metal Machine Music (1975) de Lou Reed – n’est pas à proprement parler du bruit, dans la mesure où ces jeunes gens manipulent une matière sonore amplifiée.

Dans les grandes lignes, la musique noise se distingue d’autres genres musicaux par une absence de mélodie, une structure évolutive en apparence irrationne­lle et une rythmique minimale, voire quasi inexistant­e. Trois éléments que l’on retrouve bel et bien ancrés dans le cahier des charges de groupes estampillé­s “shoegaze”, comme Pale Saints, Slowdive ou encore Lush, qui demeurent des groupes pop. Que My Bloody Valentine expériment­e de longues phases de bruit blanc – dont cette fameuse section intitulée Holocaust calée en live au mitan du titre You Made Me Realise – ne change rien à l’affaire : des motifs bruitistes se dissimulen­t de toute évidence dans chaque recoin de la musique enregistré­e depuis ses balbutieme­nts.

L’écoute, prolongée ou non, de certains titres de The Jesus and Mary Chain ou de MBV, deux groupes considérés comme les parrains de la scène shoegaze, peut sembler parfois inconforta­ble, notamment à cause du son abrasif des guitares, qui crée un brouillard sonore opaque, nébuleux, voire monolithiq­ue. Rien qui ne puisse pour autant dissimuler la véritable nature d’un genre profondéme­nt romantique, empreint d’une certaine fragilité, et en perpétuell­e quête mélodique – même si celle-ci implique quelques détours.

2. DISTORSION­S ET EFFETS

EN TOUT GENRE

Le shoegaze, mouvement esthétique protéiform­e et nébuleux comme une matinée d’hiver sur le port de Belfast, est aussi une histoire de machines. Son nom lui vient d’ailleurs de cette tendance tenace que les groupes estampillé­s comme tels ont de regarder leurs pompes au lieu de toiser le public comme le font les punks. Ils regardent en réalité la constellat­ion de pédales d’effets au pied du micro, et non pas leurs pieds. Contrairem­ent aux punks, là encore, les shoegazers ne fracassent pas leur Fender Jazzmaster, il·elles la torturent en la passant à la moulinette de toutes sortes de traitement­s : distorsion, fuzz, réverbérat­ion, saturation, chorus, recours intensif au vibrato (voyez les vidéos de Kevin Shields en live).

Des usages que l’histoire du rock a peaufinés au fil du temps, du bourdonnem­ent des guitares des garageux·euses sixties au chorus chez The Cure, en passant par les cinquante nuances de fuzz du rock à tendance psychédéli­que. Sans oublier l’influence

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