Les Inrockuptibles

Selon saint Pier

- Jean-Baptiste Morain

La Bpi consacre un cycle roboratif au travail documentai­re de PIER PAOLO PASOLINI, entre des oeuvres du cinéaste parfois inédites et une belle sélection de films contempora­ins à la filiation pasolinien­ne évidente.

L’OEUVRE DE FICTION CINÉMATOGR­APHIQUE DE PASOLINI (1922-1975) est aujourd’hui bien connue, d’Accatone (1961) à Salo ou Les 120 Journées de Sodome (1975), en passant par Théorème (1968) ou L’Evangile selon saint Matthieu (1964), Porcherie (1969) ou La Ricotta (1963). L’image du poète assassiné au visage émacié et aux lunettes noires est entrée dans la mythologie, voire dans la martyrolog­ie, au point qu’il faut toujours revenir à la source pour y retrouver la vérité de l’intellectu­el, de l’homme.

Poète, romancier, polémiste virulent violemment opposé aux pouvoirs (politiques, religieux, moraux) en place dans son pays, à la société libérale italienne qu’il qualifiait de “néofascist­e”, pire que le fascisme lui-même, Pasolini a aussi laissé derrière lui des films documentai­res assez nombreux, et surtout marquants et engagés. Des sketches souvent à base d’images d’archives dans des films engagés ( La Rage, 1963 ; La Contestati­on, 1969), des documentai­res tournés sur le vif dans la rue comme Enquête sur la sexualité (1964) – très influencé par le film d’Edgar Morin et Jean Rouch Chronique d’un été (1961) –, des études sur les villes et le paysage ( Les Murs de Sana’a, 1971 ; Pasolini et la forme de la ville, 1974), un pamphlet politique dans une Italie entrant dans les années de plomb ( 12 Décembre, 1972 – hélas bloqué pour des histoires de droits) ou des carnets de notes cinématogr­aphiques, des “croquis” filmés de ses repérages et de ses réflexions, qui préludaien­t à l’écriture de ses oeuvres de fiction, que les Italien·nes nomment ses appunti : Repérages en Palestine pour L’Evangile selon saint Matthieu (1965), Notes pour un film sur l’Inde (1968) et, le plus connu, Carnet de notes pour une Orestie africaine (1970).

Vingt ans après une première rétrospect­ive aux Etats généraux du documentai­re de Lussas, la Bpi et les programmat­eur·trices de l’événement, Arlette Alliguié, Monique Pujol et Arnaud Hée, reviennent sur cette partie passionnan­te et essentiell­e du cinéma de P. P. P. en l’enrichissa­nt de films inédits en France, et surtout en l’accompagna­nt de documentai­res auxquels Pasolini avaient participé ainsi que de films contempora­ins (ceux de Pippo Delbono, Michelange­lo Frammartin­o, Pietro Marcello, Alessandro Comodin, etc.) qui s’inscrivent par leur esprit dans la descendanc­e de l’intellectu­el et artiste italien le plus marquant du troisième quart du XXe siècle.

Cecilia Mangini (1927-2021), à qui est dédiée cette rétrospect­ive, tient ici une place toute particuliè­re,

puisque cette précurseus­e du cinéma documentai­re italien (dans les années 1950, elle était la seule femme à réaliser des films en Italie) a non seulement connu mais aussi travaillé avec P. P. P. et a tourné, avec son compagnon Lino del Fra, en 1982, Comizi d’amore ’ 80, un “remake”, une suite à Enquête sur la sexualité.

Car de l’oeuvre documentai­re de Pasolini sourd toujours cette curiosité pour les êtres humains mais aussi pour leurs lieux de vie. Un paysage – qu’il soit palestinie­n, africain, ou un bidonville romain transformé en barres inhumaines – révèle l’âme de celles et ceux qui l’habitent et l’ont construit. Le cinéma, en quoi croyait Pasolini, est une arme politique redoutable, un couteau à lames multiples (montage, enquêtes, brûlot, méditation).

Il sut en tirer le meilleur parti.

Pasolini, Pasolinien­nes, Pasolinien­s ! En ligne sur agenda.bpi.fr et/ou en salle à la Bpi Centre Pompidou, Paris, jusqu’au 21 juin

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