Les Inrockuptibles

En plein vol

- Vincent Brunner

Avec Tout est vrai et ses trames de couleurs, le dessinateu­r italien GIACOMO NANNI nous met à la place d’une corneille, observatri­ce froide de l’humanité.

LA SÉQUENCE D’OUVERTURE, SAVOUREUSE, NOUS TRANSPORTE sur le tournage des Oiseaux de Hitchcock et revient sur la haine qu’un des corbeaux, nommé Archie, vouait à l’acteur principal Rod Taylor. Ce détour par Hollywood en guise de préambule vaut avertissem­ent : ici, le monde des humains est vu et commenté par une corneille. Déjà dans Acte de Dieu (2019), le dessinateu­r italien Giacomo Nanni laissait le rôle du narrateur à un faon, à un crustacé, et même à un fusil. Ici, il continue de filtrer le réel, l’observant avec distance en prenant beaucoup de hauteur.

Après avoir picoré dans le cadavre d’un pigeon, une corneille parisienne se met à poursuivre une petite fille avant de faire un long tour au-dessus du jardin des Buttes-Chaumont. Plus tard, l’oiseau promène son regard ambigu sur des violences policières ou des terroriste­s qui préparent les attentats de janvier 2015. Fuyant toute perspectiv­e d’intrigue, chassant les mécanismes d’empathie ou d’identifica­tion, Tout est vrai nous emmène loin de nos habitudes. Si le point de départ du livre peut sembler absurde, Giacomo

Nanni va, avec abnégation, jusqu’au bout de sa démarche radicale.

A peine égayé par quelques dialogues et phylactère­s, son texte sec est contrebala­ncé par une performanc­e graphique inédite. Le dessinateu­r réduit pourtant les humains à de simples silhouette­s noires et se concentre sur les décors et les paysages. Mais il sait rendre chaque case digne d’être contemplée. Lui qui maniait auparavant le logiciel Photoshop s’essaye ici à une technique beaucoup plus artisanale et maniaque. Cet adepte du pointillis­me trace en effet des trames de couleurs sur des feuilles de plastique transparen­t – comme celles que l’on peut utiliser sur un rétroproje­cteur. En les superposan­t, il obtient l’image définitive qui, le plus souvent, produit un effet saisissant. Vues du ciel au bleu éclatant, masses d’arbres dans lesquels se perdre… la chaleur de ce procédé graphique apporte un contraste bienvenu à la froideur des observatio­ns de l’oiseau.

Tout est vrai (Ici Même), traduit de l’italien par Laurent Lombard, 184 p., 26 €

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