Les Inrockuptibles

Raison hantée

JACQUES VINCEY invente une bâtisse magique pour un huis clos où le texte de Marie NDiaye, qui réunit trois femmes autour d’un même homme, condense des figures inquiétant­es de la masculinit­é.

- Patrick Sourd

LA CANICULE TRANSFORME EN ÉPREUVE LE CHEMIN QUI MÈNE À CETTE MAISON PERDUE dans la solitude des champs de maïs. Les couches d’air prennent de l’épaisseur durant les grosses chaleurs et, pareilles à des loupes, troublent la vision du paysage. Il en est de même pour l’écriture de Marie NDiaye qui s’amuse d’effets de mirages pour imaginer une collection de dialogues hallucinés dans Les Serpents. L’action, se déroulant un 14 Juillet, alerte sur une première menace… Il suffirait d’un feu de Bengale ou d’un pétard lancé au hasard pour que la bâtisse s’évanouisse en fumée, dans une fournaise qui ne laisserait que des cendres.

Trois femmes se retrouvent devant la porte. Madame Diss (Hélène Alexandrid­is), France (Tiphaine Raffier) et Nancy (Bénédicte Cerutti) sont déterminée­s à faire le siège du refuge où se terre celui qui est le fils de la première, le mari de la seconde et l’ex-mari de la dernière.

Le prétexte d’un emprunt d’espèces sonnantes, le désir de renouer avec un être quitté sans préavis ou les vantardise­s de celle qui jouit aujourd’hui de ses faveurs n’y feront rien, l’homme refuse de montrer son nez, muré dans son mystère. Compilant les figures du gourou, de l’ogre séquestreu­r d’enfants et de l’amant au profil de Barbe-Bleue, ce monstre aussi inaccessib­le que désiré est peut-être un assassin. La rumeur prétend qu’il cache dans son antre la tombe du petit Jacky, conservant la dépouille de son fils enfermée dans une cage avec des serpents.

Jacques Vincey évoque les magies d’un texte déployant son onirisme

dans des images dignes du cinéma : “Si

Les Serpents était un film, on parlerait de thriller psychologi­que, de comédie satirique ou encore de conte fantastiqu­e. On saluerait l’importance du hors-champ, la qualité du suspense qui se distille progressiv­ement depuis le ventre de cette maison dont on ne perçoit que des sons et des éclats de voix.

On invoquerai­t Hitchcock, Scola ou Lynch.” La confiance du metteur en scène va à l’imaginaire des spectateur·trices pour visualiser ce que l’on ne peut montrer. Puisque l’homme est aux abonnés absents, autant qu’il ne fasse qu’un avec une maison que Jacques Vincey invente tel un porte-voix en lui donnant l’allure d’un immense mur de son. L’empilement d’enceintes se déplace impercepti­blement du lointain à l’avant-scène tout au long de la représenta­tion. Dévorant inexorable­ment l’espace de jeu jusqu’à réussir à sortir les femmes du plateau, l’installati­on scénograph­ique devient la métaphore cruelle de la société dénoncée par Marie NDiaye, la mécanique d’un monde sans pitié où l’homme règne sans partage.

Les Serpents de Marie NDiaye, mise en scène Jacques Vincey, avec Hélène Alexandrid­is, Bénédicte Cerutti, Tiphaine Raffier. Théâtre Olympia – Centre national dramatique de Tours et en tournée – dates à préciser

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