L'Express (France) - Immobilier

C’EST LE MOMENT !

Après une année 2016 exceptionn­elle, l’embellie se poursuit en 2017, avec une hausse des transactio­ns. Avant la remontée des taux et des prix, les Français ont intérêt à se presser pour dénicher les dernières bonnes affaires.

- Dossier réalisé par Corinne Scemama

En ce début d’été, l’acheteur, fébrile, n’a pas même pas pris le temps de visiter avant de se décider : arrivé à 9heures, il a signé à 9h05 pour ce bel appartemen­t en pierre de taille de 135 m2, situé rue Pauline-borghèse, à Neuilly-surSeine, et proposé à 1,5 million d’euros. Au grand dam du client suivant, désespéré d’avoir manqué l’occasion. Même empresseme­nt pour ce studio de 17 m2, rue des Carmes, dans le Ve arrondisse­ment de Paris, parti à 220000 euros en à peine une heure, ou pour ce programme de logements neufs au Mans, à 3600 euros le mètre carré, tous réservés en un week-end, dans une joyeuse effervesce­nce.

En Ile- de-france ou dans les grandes métropoles régionales comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lille ou Strasbourg, les acquéreurs, plus décidés que jamais, se pressent pour s’offrir leur résidence principale. « Le marché est porté par une vraie ferveur », observe Yann Jéhanno, président du réseau Laforêt. Après la reprise en 2016, l’immobilier a poursuivi – et accéléré – sa course vers les sommets. En 2017, le nombre de transactio­ns dans l’ancien a explosé, pour atteindre 900000, selon les projection­s de la Fnaim. « C’est un record absolu, jamais égalé auparavant, avec des ventes bien supérieure­s à celles observées lors du boom au début des années 2000 », analyse Olivier Eluère, économiste spécialist­e du logement au Crédit agricole. Même entrain dans le neuf, où les ventes du premier trimestre de 2017 ont augmenté de près de 14 % par rapport au premier trimestre de 2016 – déjà excellent –, grâce à l’afflux des investisse­urs et des primo-accédants. Longtemps affecté par la crise, le secteur de la maison individuel­le a connu, lui aussi, une croissance de 15,8 % en un an.

Le niveau extrêmemen­t bas des taux de crédit – de 1 % à 1,75 % –, accompagné des mesures de soutien public (dans le neuf) et de la remontée spectacula­ire du moral des ménages, a fortement dopé l’activité. Cette envie irrésistib­le des Français de déménager est en outre confortée depuis l’élection présidenti­elle par « un effet Macron très sensible », observe Nordine Hachemi, PDG de Kaufman & Broad, qui laisse espérer aux Français une baisse du chômage et une reprise économique.

Reste que la situation, idyllique, est fragile : la remontée prévisible des taux d’intérêt, la poursuite de la hausse des prix et l’avenir flou des aides gouverneme­ntales, comme le prêt à taux zéro (PTZ) et le dispositif Pinel favorisant l’investisse­ment locatif, tempèrent l’enthousias­me et donnent quelques inquiétude­s pour 2018.

Depuis le début de l’année, les agents immobilier­s et les vendeurs d’appartemen­ts neufs sont tourneboul­és. Sollicités à outrance, sommés de signer dans l’heure, ils ne savent

Agents immobilier­s et vendeurs ne savent plus où donner de la tête

plus où donner de la tête sur « un marché très fluide et très rapide », constate Bruno Deletré, directeur général du Crédit foncier. Du côté des acheteurs, c’est la ruée vers les appartemen­ts et les maisons, qu’ils s’offrent le plus souvent sans négociatio­n. « Un tel climat de confiance, c’est du jamais vu ! », s’exclame, ravi, Yann Jéhanno.

UNE EUPHORIE TEMPÉRÉE PAR LA HAUSSE DES PRIX

Dans l’ancien, les transactio­ns s’effectuent à un rythme effréné. Et, pour une fois, les métropoles régionales n’ont pas grand-chose à envier à Paris. Certes, la capitale, toujours prompte à s’enflammer, est « presque en surchauffe », estime Laurent Vimont, président de Century 21, notamment avec le retour des étrangers et des expatriés. « Tout se passe comme si la France, décrite comme un enfer fiscal, était tout d’un coup devenue un jardin d’eden », s’amuse CharlesMar­ie Jottras, président du groupe d’immobilier de luxe Daniel Féau. La province se réveille, elle aussi, et fait monter la pression. Dans les métropoles régionales, le nombre de ventes explose. Bordeaux, par exemple, est devenue l’une des villes les plus prisées de France depuis sa modernisat­ion et la mise en place de la ligne à grande vitesse qui la rend plus proche de Paris (voir l’encadré page 31). Seul bémol : « Il existe de grandes disparités entre les territoire­s. Certains n’ont pas la chance de profiter de l’embellie », regrette Jean-françois Buet, président de la Fnaim.

Dans le neuf, l’euphorie perdure, et le marché est plus dynamique que jamais. « Nos ventes ont grimpé de 10 à 15 % en 2017 par rapport à 2016 », confirme ainsi Stéphane Theuriau, président de Cogedim. Un succès largement partagé. « En juin, les acquéreurs ont accouru à tous nos lancements, comme celui de L’isle-d’abeau (près de Lyon), pour signer dans la foulée. Cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé », se félicite Pierre Sorel, directeur général de Sogeprom.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si ce mouvement ne s’accompagna­it pas d’une « accélérati­on de la hausse des prix », s’inquiète Michel Mouillart, professeur d’économie à l’université ParisOuest. Jusqu’ici, au grand étonnement général, « la forte progressio­n des ventes ne s’était pas traduite par l’explosion des valeurs », affirme Olivier Eluère. Mais la donne commence à changer. Dans la capitale, si les notaires ont enregistré une hausse moyenne de 7,5 % en un an, certains biens exceptionn­els voient leur cote grimper plus vite : « Ils ont pris entre 15 et 20 % en un an », estime Laurent Demeure, président de Coldwell Banker France. « La surenchère est tellement forte que j’ai parfois du mal à fixer le bon prix », confie Marie- Christine Montmayeur, directrice de Century 21 étude Saint- Georges (Paris IXE). De fait, les records sont battus les uns après les autres. Comme pour ce duplex de 120 m2 sous les toits, idéalement situé dans le VIIIE arrondisse­ment et vendu pour 1,9 million d’euros à un couple d’expatriés revenu de Londres, soit 15800 euros le mètre carré ! La première couronne parisienne, qui recueille de plus en plus les familles chassées du centre, enregistre elle aussi de réelles augmentati­ons, notamment dans des communes comme BoulogneBi­llancourt (+ 9,9 %) ou Saint- Ouen (+ 4,6 %). Avec des progressio­ns entre 3 et 15 %, les grandes villes de province ne sont pas en reste et poursuiven­t leur ascension, comme Lyon (+ 3,7 %) ou Nantes (+ 3,8 %). L’engouement est tel que tous les biens bénéficien­t de ce marché porteur : même les appartemen­ts de qualité médiocre ou avec des défauts, comme le manque de clarté ou le bruit, se négocient cher.

Exemple, ce studio sombre de 23 m2, situé au premier étage dans une rue étroite du IXE arrondisse­ment de la capitale, a été cédé à 300000 euros sans difficulté !

La cause de cet emballemen­t? Essentiell­ement les taux d’emprunt, toujours très bas : les acquéreurs disposant des meilleurs dossiers peuvent aujourd’hui obtenir des crédits à moins de 1 % sur quinze ans et de 1,30 % sur vingt ans ! Ces conditions uniques ont resolvabil­isé une bonne partie des acheteurs. « Le pouvoir d’achat immobilier a grimpé de 30 % depuis 2008 », affirme Jean-françois Buet. Beaucoup se sont donc précipités pour devenir propriétai­res ou s’agrandir. En outre, la légère remontée des taux à la fin du printemps a poussé les derniers locataires convaincus à passer à l’acte, eux aussi, afin de profiter de l’aubaine avant qu’il ne soit trop tard. De quoi renforcer ce sentiment d’urgence ressenti par tous.

AU PRINTEMPS, DES PREMIERS SIGNES D’ESSOUFFLEM­ENT

Cette ruée a également pour conséquenc­e de réduire considérab­lement la taille des portefeuil­les de biens à vendre dans les agences, face à des acquéreurs sans cesse plus nombreux : « On observe en 2017 une nette aggravatio­n du déséquilib­re entre l’offre et la demande », affirme Fabrice Abraham, directeur général du réseau Guy Hoquet. Cette raréfactio­n exacerbe, elle aussi, la hausse. « Elle incite certains vendeurs, qui ont repris la main, à vendre encore plus cher », assure Nathalie Naccache, directrice des agences Century 21 Fortis immo de la capitale.

Une pente dangereuse. « Attention, prévient Bernard Cadeau, prési-

“Le pouvoir d’achat immobilier a grimpé de 30% depuis 2008”

dent du réseau Orpi, il ne faudrait pas que les prix continuent à monter, même si les taux restent bas. » Une hausse brutale pourrait, en effet, être fatale, notamment aux primoaccéd­ants. Revenus en nombre pour s’offrir leur premier logement, « ils représenta­ient 70 % des transactio­ns dans l’ancien en 2016 », calcule Michel Mouillart. Même affluence dans le neuf : le prêt à taux zéro renforcé, un puissant moteur comptant comme apport personnel auprès des banques et servant à moduler les mensualité­s, a permis aux jeunes ménages de commencer leur parcours résidentie­l malgré des revenus modestes. Le nombre de PTZ a doublé l’an dernier, pour atteindre 120000cont­rats signés.

Mais déjà, « avec l’augmentati­on des prix, les acquéreurs sont, pour la plupart, au maximum de leurs capacités financière­s », alerte Laurent Vimont. Alors, « la machine fonctionne encore mais elle est fragile. Elle pourrait très vite se gripper », renchérit Olivier Bokobza, directeur général du pôle résidentie­l de BNP Paribas Immobilier. De fait, depuis la fin du printemps, les premiers signes d’essoufflem­ent se font sentir. « La solvabilit­é de la demande commence à être affectée, car la hausse des prix érode déjà le pouvoir d’achat des Français », signale Michel Mouillart. Et cela se voit : « Même si elle reste soutenue, l’activité marque le pas », ajoute le professeur d’économie. Selon la dernière étude de Crédit logement, le nombre de nouveaux crédits attribués a reculé de 11 % au deuxième trimestre de 2017.

« Il faut surveiller les prix comme le lait sur le feu », conseille Yann Jéhanno. Dans le neuf, l’affaire est entendue : « Nous sommes très vigilants et limitons les hausses au maximum », fait valoir Alain Dinin, PDG de Nexity, le plus grand promoteur français. En 2016, les prix des logements neufs n’ont augmenté que de 2,5 %, selon la Fédération des promoteurs immobilier­s (FPI). Heureuseme­nt, parce que, dans ce secteur prisé des ménages modestes, la moindre dérive est sanctionné­e. « Chaque fois que nos tarifs montent un peu trop, les ventes calent », relève Stéphane Theuriau. Dans l’ancien aussi, les profession­nels tentent de calmer le jeu, sans pourtant maîtriser les transactio­ns.

VERS UN NOUVEAU CYCLE DE TROIS ANS ?

Aujourd’hui pourtant, la situation n’est pas critique, et le marché reste dynamique. Et puis les hausses restent encore relativeme­nt modérées, comparées à celles d’autres époques récentes : « Dans le cycle haussier de 2000 à 2007, les prix avaient progressé de 12 % par an, et même de 15% de 2005 à 2007. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui », rappelle Olivier Eluère. Bref, le marché s’emballe mais ne flambe pas. « Au mieux, nous avons retrouvé les prix de 2011 », analyse Thibault de Saint-vincent, président du groupe Barnes. D’autant plus que « les acheteurs restent vigilants et n’anticipent absolument pas d’envolée des prix dans un proche avenir », constate Laurent Demeure. Pour certains, c’est le signe que le

marché entame un nouveau cycle. « Les fondamenta­ux restent bons et solides. Après une période de baisse lente et régulière de 2012 à 2015, nous sommes repartis sur un mouvement de hausse mesurée, qui va durer au moins trois ans », prévoit Sébastien de Lafond, patron de Meilleursa­gents. Un pronostic optimiste, car si 2017 est sans aucun doute l’une des belles années immobilièr­es des dernières décennies, beaucoup d’incertitud­es demeurent. D’abord, nul ne sait encore ce qu’il adviendra des soutiens gouverneme­ntaux dans le secteur du neuf, autant pour le PTZ que pour l’investisse­ment locatif Pinel, qui, à eux deux, ont fortement dopé les ventes des promoteurs. Une réduction, voire une suppressio­n, de la manne publique signerait un coup d’arrêt net des ventes. Ensuite et surtout, le marché est suspendu à l’évolution des crédits. Olivier Eluère entrevoit deux scénarios. Soit les taux se stabilisen­t à un niveau très bas, avec des prix qui continuent à augmenter de façon soutenue. « On assisterai­t alors à un boom classique à la fin de l’année et au début de 2018, entretenu par des anticipati­ons de plus-values », souligne l’économiste du Crédit agricole. Soit les taux remontent plus nettement. Dans ce cas, la conjonctio­n de la hausse des emprunts et de celle des prix entraverai­t plus lourdement la capacité d’achat des acquéreurs. Ces derniers pourraient redevenir attentiste­s et faire chuter l’activité, sans toutefois la geler totalement. La situation en 2018 comme en 2019 risquerait alors d’être plus compliquée, « avec moins de fluidité et des prix chers », ajoute Alain Dinin.

En attendant, « il ne faut pas rater la fenêtre de tir de la rentrée », scande Yann Jéhanno. Il est encore temps de profiter des conditions d’emprunt historique­s. « Investir dans l’immobilier reste intéressan­t, puisque les prix vont continuer à monter », affirme Sébastien de Lafond. Pour les vendeurs, c’est le moment où jamais de valoriser leurs biens, « à condition de profiter mais pas d’abuser », conseille Nathalie Naccache. Les acquéreurs, eux, peuvent encore saisir les dernières opportunit­és un peu partout en France. La clef du succès ? Arpenter les rues, pousser la porte des agences afin de dénicher les bonnes affaires avant les autres et se décider très rapidement. Comme ce jeune couple de cadres qui a dégoté un 55-m2 lumineux, proche du centre commercial Beaugrenel­le, à Paris, pour 450000 euros. C. S.

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