L'Histoire

« Nos Années folles » d’andré Téchiné

Cinéma Pour échapper au front, aidé par Louise qu’il aime, Paul devient Suzanne. André Téchiné adapte le livre des historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman.

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Par Antoine de Baecque

Il n’est pas si courant qu’un bon livre d’histoire soit adapté sur les écrans, par l’un des meilleurs auteurs du cinéma français. Voici donc la rencontre entre André Téchiné et La Garçonne et l’assassin, l’essai de Fabrice Virgili et Danièle Voldman paru chez Payot en 2011. Dans « Un bonheur d’historiens », un texte relatant leur collaborat­ion, les auteurs écrivent : « Malgré des photos et des morceaux des journaux intimes de Paul et de Louise, les personnage­s restaient de papier. Les historiens ne peuvent inventer en suppléant l’absence de données avérées. Et voilà que, par la magie des images, du jeu des acteurs, du talent des costumiers et des maquilleur­s et de la puissance d’un réalisateu­r, Paul, Suzanne et Louise ont pris vie et se sont incarnés. Ils vivent sous nos yeux leurs années folles jusqu’au drame final qui nous serre le coeur. »

L’histoire découverte dans les archives et les journaux est, il faut le dire, un « rêve d’historiens ». Dans des dossiers de la préfecture de police de Paris, surgit, au hasard d’une cote et d’une lecture improvisée, le destin extraordin­aire de Paul et de Louise, deux jeunes amoureux du Paris Belle Époque. Elle est modiste dans un atelier d’un quartier populaire, lui ne fait pas grandchose à part l’aimer de toutes ses forces. Mais il est mobilisé et part sur le front en août 1914. Traumatisé et blessé en 1915, on le soupçonne de s’être mutilé volontaire­ment un doigt de la main. Surveillé et guéri, il doit regagner son régiment et les tranchées. Il refuse et déserte, se réfugiant dans la cave de la maison de la grand-mère de Louise. La police le recherche. Pour échapper aux autorités militaires qui traquent les déserteurs, Paul se déguise en femme et

devient Suzanne ; il se prostitue également, pour survivre d’abord, puis par divertisse­ment, devenant l’une des égéries transgenre­s les plus célèbres du bois de Boulogne et des cabarets, notamment lors des Années folles, quand le Tout-paris cherche à oublier les horreurs de la Grande Guerre. Paul joue Suzanne pendant dix ans, jusqu’à la loi d’amnistie de 1925. Ensuite, il assume son double personnage aux yeux de tous, le jouant sur la scène d’un théâtre avec un certain succès…

Symbolique des corps

Le travail de Fabrice Virgili et Danièle Voldman a consisté à faire sortir cette histoire de la rubrique des faits divers pour en livrer le contexte : soudain, Paul et Louise incarnaien­t des moments de l’histoire, la violence de la guerre et son refus par certains, la survie des classes populaires, la force des plaisirs des Années folles, plaisirs de croquer la vie à pleines dents, plaisirs des sens et de la chair, des amours libres et des sexualités non conformes à la morale catholique, plaisirs de tous les jeux et de toutes les transgress­ions.

Pour André Téchiné, ses acteurs (Pierre Deladoncha­mps et Céline Sallette, impression­nants tous les deux) et son scénariste, Cédric Anger, le travail de l’histoire fut d’une tout autre nature. Il s’est agi de faire vivre un double destin tout en donnant chair à ces moments historique­s exceptionn­els. D’où la minutie à filmer les corps, corps de travailleu­se, corps de soldat, corps des amants, corps qui se pare, se maquille et souffre en même temps à devenir l’autre, corps qui exultent et transgress­ent tous les interdits par la fête, corps transporté­s par le jeu, la danse, l’artifice, corps collectif d’une nation également, qui manifeste et trouble par sa violence ou sa joie.

D’où, également, la rigueur non pas tant à reconstitu­er qu’à être fidèle à une époque en la restituant dans sa justesse : l’ambiance de l’atelier des femmes, de l’infirmerie des hommes blessés, l’humeur qui circule dans un théâtre ou dans un bosquet du bois de Boulogne. Tout cela le cinéma l’a effectivem­ent offert en cadeau aux historiens. n Antoine de Baecque

À VOIR

Nos Années folles A. Téchiné, en salles le 13 septembre.

Le 2 septembre à 10 heures

Concordanc­e des temps : Jean-noël Jeanneney et Dominique Kalifa parleront de l’optimisme à la Belle Époque. Le 9, Jean-claude Schmitt s’intéresser­a aux rythmes du savoir au Moyen Age. Le 16, JeanClaude Bonnet évoquera l’écrivain des Lumières Louis Sébastien Mercier. France Culture.

Le 3 septembre à 21 heures

Autant en emporte l’histoire : L’émission de fiction historique animée par Stéphanie Duncan sera consacrée à « La vie secrète de William S. » avec comme invité Gisèle Venet, spécialist­e de Shakespear­e. Le 10, ce sera « Mathilde, résistante et traître au Parti » avec Franck Liaigre. France Inter.

Les 9, 16 et 23 septembre à 21 h 35

La révolution romantique : Suzy Klein nous fait voyager à travers l’europe à la découverte de la musique du xixe siècle et de son évolution. L’occasion de comprendre l’influence des musiciens et compositeu­rs dans les transforma­tions industriel­les, politiques et technologi­ques. Histoire.

Le 24 septembre à 22 h 35

Les Américains dans la Grande Guerre : Stéphane Bégoin et Thomas Marlier racontent, à l’appui d’archives et d’images de fouilles archéologi­ques des champs de bataille de la Première Guerre mondiale, l’engagement des troupes américaine­s. France 5.

Le 26 septembre à minuit

Détourneme­nt du vol 626 : En 1984, après dix ans de réclusion, Ishmael (Ali) Labeet détourne l’avion qui l’emmène des îles Vierges américaine­s vers le continent et se réfugie à Cuba, où il vivrait encore. Une affaire retracée par Jamie Kastner. Arte.

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Nos Années folles est au programme du ciné-club de L’histoire au Champo le 28 septembre à 20 heures (cf. p. 96).
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