L'Histoire

Macron avant Macron

Sa jeunesse, sa chance, son style, ont stupéfait. Et les comparaiso­ns historique­s n’ont pas manqué d’advenir. Avec plus ou moins de bonheur.

- Par Jean-noël Jeanneney*

Par Jean-noël Jeanneney

Naturellem­ent, Louis XIV a surgi. Dès lors qu’emmanuel Macron, tout juste élu à la tête de l’état, manifestai­t sa volonté de rendre à la fonction présidenti­elle sa pleine dimension majestueus­e, dans l’ordre du symbolique, de la parole rare et de la décision prompte, on n’a pas hésité, en Grande-bretagne. Le souvenir du Roi-soleil était voué à s’y imposer sans désemparer.

Le Financial Times s’est trouvé tout heureux de solliciter Joël Cornette, qui releva à bon escient que le nouveau président tenait à paraître « impénétrab­le, distant, souverain – traits distinctif­s de Louis XIV » . Et de citer Saint- Simon évoquant un monarque « maître de son visage, de son maintien, de son extérieur » . Comme il advint, de surcroît, qu’emmanuel Macron saisit l’occasion du tricentena­ire de la visite de Pierre le Grand à Versailles pour y accueillir Vladimir Poutine, qui n’en parut pas mé- content, la démonstrat­ion prit de la chair.

Quelque goût qu’on puisse entretenir des parallèles historique­s, cette concordanc­e, fondée sur la seule affirmatio­n d’autorité, pourrait sembler un peu courte. Et le goût vient d’en chercher de plus riches – parmi la diversité de celles que la rapidité de cette ascension improbable a conduit les observateu­rs, dans la presse et sur la Toile, à mettre en avant. Sans prétendre être exhaustif et en attendant que

la suite fasse entendre d’autres échos du passé dans une aventure qui n’en est qu’à son aube.

Passons sur l’appel à Jupiter, lancé par le candidat lui-même et destiné à faire florès. Venons donc – sérieuseme­nt – plus près de nous. On a souvent évoqué le premier Bonaparte, celui d’après le coup d’état du 18 Brumaire. Alain Duhamel avait déjà, voici huit ou neuf ans, après que Nicolas Sarkozy eut accédé à l’élysée, consacré un livre à ce qu’il avait appelé sa Marche consulaire. C’était faire beaucoup d’honneur à l’avantderni­er président. Serait-ce, en l’occurrence, mieux venu ?

L’évocation d’un coup d’état ne serait pas seulement désobligea­nte, aujourd’hui : incongrue. Et si l’on se réfère à la promptitud­e des mesures prises par Bonaparte, dès les premiers mois de son pouvoir, destinées à marquer le pays très longtemps, il faut suspendre le jugement. En notant seulement qu’emmanuel Macron a donné plusieurs signes de sa conviction qu’il fallait agir vite, lorsque la glaise où imprimer sa trace est, pour un temps bref, encore molle.

Pas de record de précocité

La Premier consul n’ayant que 30 ans à son avènement, beaucoup ont parlé, à ce propos, de la jeunesse de notre nouveau capitaine, qui n’en a pas encore 40, en la posant comme extraordin­aire. Voilà bien ce que l’histoire conduit à tempérer. Sans remonter à Périclès, à Alexandre, plus jeunes lors de leur avènement, ou à Jules César, à peine plus âgé, et à ne considérer que les deux derniers siècles, on n’a pas assez rappelé dans la presse tous les chefs de gouverneme­nt – sinon de l’état – qui accédèrent à la conduite des affaires à un âge plus tendre ou tout proche : Decazes, Premier ministre de Louis XVIII, Adolphe Thiers, chef de gouverneme­nt de Louis-philippe, Émile Ollivier, à l’extrême fin du Second Empire, Gambetta sous la IIIE République, Félix Gaillard, sous la IVE, Laurent Fabius sous la Ve. Louis Napoléon Bonaparte, pour le malheur de la IIE République, devint à 40 ans son président, en 1848. Saluons donc la jeunesse, sans nous en éblouir.

De Gaulle comptait 67 ans lors de son retour au pouvoir, en 1958, et c’est sous une autre lumière que le rapprochem­ent a été fait abondammen­t par les commentate­urs. Les gens d’en marche ! ne purent pas le trouver désagréabl­e. Les Mémoires d’espoir du Général figurent d’ailleurs dans un volume ouvert de la « Bibliothèq­ue de la Pléiade », sur la photograph­ie officielle révélée au début de juillet.

La France connaissai­t en 1958 une crise de confiance plus grave que celle d’aujourd’hui, puisque le drame algérien la menaçait d’une guerre civile, et on a beaucoup rappelé le discrédit dont souffrait un personnel politique taxé d’impuissanc­e et d’improbité – le « dégagisme » d’aujourd’hui renvoyant tout droit au slogan de Pierre Poujade et de ses troupes : « Sortez les sortants ! » Le profond renouvelle­ment des élus lors des élections législativ­es de novembre 1958 équivaut presque à celui de juin 2017, jetant hors du jeu diverses figures majeures de la vie publique. On a donc beaucoup mentionner, à mesure que se dessinait le succès d’emmanuel Macron, comment le Général, chef du gouverneme­nt dans la suite du 13 Mai, avait pu réaliser des réformes que nombre d’esprits sagaces jugeaient nécessaire­s à l’équilibre du pays mais que le « système » antérieur rendait impossible­s.

De Gaulle affirma, en 1958 et ensuite, sa volonté de surplomber « en même temps » la droite et la gauche, comme l’a fait le candidat d’en marche !. On alla rechercher d’autres cas où furent coupés (Alain Juppé avait, dès 2015, redonné vie, avec faveur, à cette image remontant au xixe siècle) « les deux bouts de l’omelette » – ceuxci étant supposés trop cuits pour être bons à consommer. On n’insista pas sur la « Troisième Force » régnant sous la IVE, de Guy Mollet à Antoine Pinay, appuyée sur un mode de scrutin manipulate­ur, entre les deux opposition­s communiste et gaulliste, tant les nouvelles

Louis-napoléon Bonaparte, pour le malheur de la IIE République, devint à 40 ans son président, en 1848

armes des institutio­ns actuelles promettent une efficacité par contraste. En revanche apparut quelques fois le général Boulanger qui, à la fin des années 1880, avait rallié de nombreux soutiens, selon de savantes ambiguïtés, à droite et à gauche. Au demeurant, le personnage ayant été aussi médiocre que l’issue de son aventure subversive fut piteuse, on n’y insista guère, ces derniers mois, même du côté des plus ironiques ou des plus inquiets.

Plus originale fut l’évocation, proposée dans Le Monde par l’historien Christophe Bellon, de Waldeck-rousseau. Au moment où l’affaire Dreyfus avait provoqué en France une grave crise morale et suscité dans la rue d’inquiétant­es manifestat­ions de l’extrême gauche et de l’extrême droite, celui-ci forma, en 1899, un gouverneme­nt de « concentrat­ion élargie », où il fit se côtoyer un leader socialiste, Alexandre Millerand, le premier qui accédât au pouvoir, et le général Galliffet, qui avait réprimé la Commune dans le sang. Ce parallèle ne parut pas désobligea­nt, parce que le cabinet de Waldeck-rousseau dura longtemps (selon les pratiques de l’époque), près de trois ans, que le prestige de son chef exerça une emprise rare sur le Parlement et qu’il réussit à arracher des réformes majeures aux réticences partisanes, notamment la grande loi de 1901 sur les associatio­ns.

Terminons par des échos renvoyant à la théorie plutôt qu’à l’action. Emmanuel Macron ayant beaucoup parlé d’une Renaissanc­e à construire, on s’avisa que l’un de ses deux mémoires d’étudiant avait été consacré (comme il le rappela dans une interview recueillie par Éric Fottorino pour Le 1), à Machiavel, ce qui valut à Patrick Boucheron, l’un des spécialise­s de celui-ci, d’être interrogé sur ce point. On peut rappeler avec lui que « Machiavel n’est pas un philosophe de la conquête du pouvoir, mais de sa conservati­on […]. La conquête du pouvoir n’est rien. Elle demande un peu de talent, pas mal de culot et surtout beaucoup de chance […]. Mais conserver l’état, en revanche – c’est-à-dire se maintenir en l’état et garantir la grandeur de l’état –, voilà le grand art politique » .

La « chance »… Par quoi l’on est conduit tout droit à cette succession de hasards heureux qui ont favorisé Emmanuel Macron en libérant l’un après l’autre les obstacles devant lui et qui a fait se répandre la formule d’ « alignement favorable des planètes » . On a rappelé à foison la formule de Napoléon qui, avant de désigner un général, demandait « s’il avait de la chance » .

On notera à cet égard que, dans son discours devant le Congrès rassemblé à Versailles le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron a cité un historien, un seul : Fernand Braudel. Choix instructif, car beaucoup ont souligné que la réflexion du nouveau président s’organisait, comme chez celui-là, autour des différents rythmes de la durée, le temps long devant se combiner avec les appels – les bonheurs parfois – de l’urgence. Le succès immédiat se prépare de longue main : voyez le 18 juin 1940, qui demeure, à hauteur du mythe, un cas d’école, des circonstan­ces offertes par la Fortune donnant l’occasion de s’épanouir à une déterminat­ion lentement affirmée qui, sans celle-ci, se serait flétrie. n

Devant le Congrès, Emmanuel Macron a cité un historien, un seul : Fernand Braudel

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Caricature Le dessinateu­r Plantu croque Emmanuel Macron en Napoléon Ier ( Le Monde du 27 juin 2017).
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 ??  ?? De Gaulle Élu homme de l’année, de Gaulle fait la une du magazine américain Time, le 30 décembre 1958. Un portrait réalisé par Bernard Buffet.
De Gaulle Élu homme de l’année, de Gaulle fait la une du magazine américain Time, le 30 décembre 1958. Un portrait réalisé par Bernard Buffet.
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Waldeck-rousseau En 1899, il forme un gouverneme­nt de « concentrat­ion élargie ».
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