L'Histoire

La boucle de la Meuse à Monthermé

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Un balcon en forêt, le récit que Julien Gracq consacre aux trois saisons de la drôle de guerre (3 septembre 1939-10 mai 1940), a pour cadre le massif forestier de l’ardenne. L’aspirant Grange est affecté à une maison forte censée surveiller la frontière avec la Belgique qui court sur le plateau uniforméme­nt boisé. Son supérieur, un capitaine, l’accompagne à son poste et lui présente les caractères de ce terrain particulie­r. Un extrait de la carte dite de l’état-major 1/50 000 (coupure Fumay, édition 1939) expose ce que l’on pourrait appeler le motif ardennais : un plateau boisé, à l’altitude moyenne de 370-390 m, entaillé par la vallée de la Meuse qui coule vers 135-130 m. Cette vallée présente des méandres encaissés, qui dessinent d’amples sinuosités. Le plateau est un désert vert, la vallée égrène un chapelet de petites villes industriel­les.

« Le coup d’oeil en vaut la peine »

Ce motif a été décrit en 1903 par Vidal de La Blache dans son Tableau de la géographie de la France. Vidal cite l’expression de Michelet « immense forêt de petits arbres » , l’aspirant Grange la reprend mot pour mot dans Un balcon en forêt… Bel exemple de fidélité de l’histoire et de la littératur­e par l’intercessi­on de la géographie ! Revenons à la carte en montant sur le plateau vers le nord par la route en lacets qui passe par la Rova, on trouve à la cote 255 m un point de vue sur la vallée. C’est ici la position du bel- védère où le capitaine Vignaud propose à l’aspirant Grange de s’arrêter car « le coup d’oeil en vaut la peine » : « Presque en haut du versant, au bord de la route, on avait ménagé sur la pente un petit terre-plein garni de deux bancs. De là le regard effleurait le sommet d’en face, un peu moins élevé ; on voyait les bois courir jusqu’à l’horizon, rêches et hersés comme une peau de loup, vastes comme un ciel d’orage. A ses pieds on avait la Meuse étroite et molle, engluée sur ses fonds par la distance et Moriarmé terrée au creux de l’énorme conque des forêts comme le fourmilion au fond de son entonnoir. La ville était faite de trois rues convexes qui suivaient le cintre du méandre et couraient étagées au-dessus de la Meuse à la manière des courbes de niveau ; entre la rue la plus basse et la rivière un pâté de maisons avait sauté, laissant un carré vide que rayait sous le soleil oblique un stylet sec de cadran solaire : la place de l’église. Le paysage tout entier lisible, avec ses amples masses d’ombre et sa coulée de prairies nues, avait une clarté sèche et militaire, une beauté presque géodésique. » J.-L. T.

 ??  ?? Ci-dessus : vue panoramiqu­e de Monthermé, en Ardenne. La prise de vue est orientée vers le sud, comme on peut le constater à partir de l’extrait de la carte au 1/50 000 ci-contre. La topographi­e des lieux a fortement inspiré Julien Gracq dans...
Ci-dessus : vue panoramiqu­e de Monthermé, en Ardenne. La prise de vue est orientée vers le sud, comme on peut le constater à partir de l’extrait de la carte au 1/50 000 ci-contre. La topographi­e des lieux a fortement inspiré Julien Gracq dans...
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