Espagne, une guerre d’extermination ?
Analyse à froid du livre de l’historien britannique Paul Preston Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945.
Par Benoît Pellistrandi*, professeur en classes préparatoires au lycée Condorcet (Paris)
Le dernier livre de Paul Preston, paru initialement en 2012 en anglais, The Spanish Holocaust (publié en français chez Belin en 2016 sous le titre Une guerre d’extermination. Espagne, 1936-1945), défend la thèse d’une guerre d’extermination dans laquelle la violence de droite a débouché sur un plan d’élimination systématique des adversaires de gauche. « Les ouvrages sur le conflit espagnol, écrit dans le prologue ce professeur à la London School of Economics, ont tendance à négliger le fait que l’effort de guerre des rebelles [les franquistes] se fondait sur un précédent programme de massacre systématique et que le régime qu’ils établirent ensuite reposait sur la terreur d’état » (p. 10). Paul Preston refuse les « mythes persistants » qui font du régime de Franco quelque chose d’acceptable. « L’espagne, convient l’auteur, est encore aujourd’hui en proie à une guerre de mémoire » (p. 717) et le poids totalitaire de la mémoire franquiste, construite pour justifier non seulement le coup d’état mais aussi le déchaînement de violence pendant le conflit et l’intensité de la répression postérieure à la victoire, a de puissants effets résiduels qui « empêchent la majorité de la société de porter un regard ouvert et honnête sur un passé violent et récent » (p. 719).
Grâce à une documentation considérable, Paul Preston illustre pour toute la géographie espagnole ce que fut la réalité de la violence politique et de la guerre. C’est dans cette ambition synthétique que réside la nouveauté du livre, pas dans ses sources ni dans son matériel documentaire fondé sur les recherches des historiens espagnols.
Paul Preston explore « les origines de la haine et de la violence » . Il s’attache à montrer comment la violence de l’affrontement entre les droites et les gauches se décline dans les villes et villages d’espagne. Le récit est poignant, mais la démonstration manque. Suffit-il d’accumuler les citations haineuses pour expliquer le surgissement de cette violence ? La diffusion de la violence dans toute l‘espagne entre 1931 et 1936 et la politisation de l’armée montrent bien que l’état républicain, loin d’être l’arbitre des tensions, est l’objet même de ces tensions.
Le livre est construit sur une idée de base de l’historiographie : du côté « national », une violence voulue, théorisée, justifiée ; de l’autre, des débordements liés à l’effondrement de l’appareil d’état, à cause du mouvement factieux. Le schéma reste trop sommaire. La prise de contrôle d’un territoire par un camp ou un autre explique contre quelles forces politiques et sociales, et donc contre quels individus, s’orientait la haine fratricide et meurtrière.
Ce livre important raconte comment la violence politique a nourri l’explosion d’une violence physique qui dura audelà de la guerre. On déplorera que cet axe ne soit pas enrichi par les réflexions historiques et théoriques sur la violence et la brutalisation. Les viols systématiques, les tortures, le sadisme déployé, le mépris des cadavres, l’assassinat de femmes enceintes, le vandalisme, appellent un minimum de réflexion sur l’extension et la généralisation de ces gestes et demandent une explication de nature anthropologique. n
* Sur Public Sénat le 16 décembre