L'Histoire

Dans les villages scandinave­s

Dans les mondes scandinave­s, il y a ceux qui partent… et ceux qui restent. L’archéologi­e nous permet de mieux connaître le quotidien de ces derniers : l’organisati­on de leurs villages et les activités agropastor­ales.

- Par Anne Nissen

Les pays scandinave­s forment une aire géographiq­ue vaste et diverse. Le puissant rempart Danevirke, renforcé au ixe siècle par le roi du Danemark Godfred pour protéger son royaume de Charlemagn­e, est aussi loin du nord de la Scandinavi­e que du nord de l’afrique !

Au sud, le Danemark et la Scanie (sud de la Suède) prolongent la grande plaine du nordouest de l’europe. Ces paysages rappellent plus le nord de la France ou l’angleterre que la Suède centrale ou la Norvège, où les terrains sont nettement plus rocheux, le climat plus rude et les hivers plus longs. Sans surprise, les régions les plus fertiles et les plus densément peuplées sont au sud. Les sociétés rurales durent logiquemen­t s’adapter à ces conditions naturelles et ces contextes sociaux très différents, ce qui se traduisait dans l’organisati­on de l’habitat et des pratiques agropastor­ales.

Les fouilles archéologi­ques et les études environnem­entales (par exemple des pollens et des graines) ont montré le savoir-faire des paysans scandinave­s. Quand partirent les premiers vikings, ils pratiquaie­nt la rotation des cultures depuis plusieurs siècles et la charrue était devenue de plus en plus courante depuis le ve siècle. Ils cultivaien­t surtout de l’orge, du seigle et de l’avoine ; le blé était en revanche rare. Leurs étables pouvaient abriter des grands cheptels, notamment bovins ou ovins. La laine des seconds servait à fabriquer les vêtements, mais aussi les voiles des bateaux. Le développem­ent des troupeaux ovins a d’ailleurs pu entraîner la progressio­n des landes en Norvège.

Les premières villes scandinave­s remontent à l’époque viking, mais presque tout le monde vivait à la campagne. En Norvège et en Suède, l’habitat dispersé domine. Cependant, bien que les fermes soient éloignées les unes des autres de plusieurs centaines de mètres, elles étaient reliées par de longues clôtures qui séparaient les terres cultivées (indmark) des pâtures et des champs extérieurs (utmark). Ce modèle, dont les principes remontent aux premiers siècles de notre ère, implique une concertati­on à propos de l’organisati­on territoria­le ; d’une certaine manière, il s’agissait plutôt de villages éclatés que de fermes isolées.

Une organisati­on rigoureuse

Dans le sud de la Scandinavi­e, en revanche, dès le iiie siècle, les fermes sont regroupées dans des villages selon une organisati­on étonnammen­t rigoureuse. Entourées d’enclos réguliers, elles étaient alignées le long d’un chemin, voire autour d’une grande place comme à Sædding (Danemark). Les sépultures fouillées témoignent de l’émergence d’élites guerrières dans ces régions et de la constituti­on d’expédition­s maritimes déjà importante­s – les ingrédient­s de l’époque viking sont là ! Au début du viiie siècle, le nombre des fermes diminue tandis que leur taille augmente considérab­lement.

Au nord comme au sud, la maison principale réunissait l’habitation et l’étable sous un même toit. Dans les régions côtières au sud de la mer du

Nord et en Scandinavi­e, cette maison-étable, qui perdure jusqu’à la fin du xe siècle, prolonge une tradition millénaire qui remonte au moins à l’age de bronze. A partir de 700 environ, sa taille, ainsi que celle des autres bâtiments, augmente pour atteindre une trentaine de mètres de longueur, ce qui permet d’abriter 30 à 40 bêtes.

Les parois incurvées de ces maisons rappellent la forme d’un bateau : une ressemblan­ce qui intrigue depuis longtemps. Certaines théories farfelues y ont vu d’anciens bateaux renversés ; les archéologu­es ont préféré évoquer la résistance aux vents. Des similitude­s troublante­s entre les tombes à bateaux et l’aménagemen­t des halles pourrait indiquer une symbolique forte.

En dehors de l’habitation principale, la ferme viking comprenait de nombreuses annexes, de sorte que les exploitati­ons sont bien plus grandes que celles de l’espace franc à la même époque. Elles regroupent beaucoup de personnes, avec un très grand écart social entre la famille du chef et les plus modestes de la maisonnée, notamment les esclaves, qui étaient sans doute nombreux. Il est remarquabl­e que la quantité de fermes et leur taille se soient maintenue pendant plusieurs siècles. Cela soulève la question du sort des héritiers : certains sont sans doute restés mais d’autres ont aussi pu tenter de chercher gloire et richesse en se joignant aux chefs vikings lors des raids. n

 ??  ?? L’AUTEURE Anne Nissen est professeur d’archéologi­e médiévale à Paris-iPanthéon-sorbonne. Elle est spécialist­e de l’archéologi­e rurale et du haut Moyen Age en Europe du Nord-ouest et en Scandinavi­e.
L’AUTEURE Anne Nissen est professeur d’archéologi­e médiévale à Paris-iPanthéon-sorbonne. Elle est spécialist­e de l’archéologi­e rurale et du haut Moyen Age en Europe du Nord-ouest et en Scandinavi­e.
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