Libération

Justice : ce qui attend François Fillon

Le sort du candidat LR est suspendu à la décision du Parquet national financier concernant les emplois supposés fictifs de son épouse et de ses enfants. «Libération» présente les différents scénarios possibles.

- Par EMMANUEL FANSTEN

Classement sans suite, citation directe, ouverture d’une informatio­n judiciaire ou suspension de l’enquête: le Parquet national financier s’apprête à clarifier l’avenir du candidat.

Certains recommence­nt à y croire: le plus dur seraitDans le camp Fill on, on se dit que la campagne reprend et qu’il va enfin devenir possible de reparler des «vrais sujets». C’est ce que le candidat entendait démontrer, mercredi soir, lors de son meeting de Compiègne( Oise ). Avant de se rendre à cette réunion, il avait déjeuné avec Nicolas Sarkozy. Un rendezvous sollicité afin de négocier avec son ex-rival les conditions d’un cessez-le-feu. A quel prix? La suite de la campagne le dira. Dans l’immédiat, Fillon a bon espoir que ce deal aura calmé les ardeurs des sarkozyste­s qui réclament sa destitutio­n. Admettons qu’il puisse en être ainsi. Supposons que l’ex-employeur de la furtive Penelope Fillon échappe à la mise en examen. Imaginons même qu’il parvienne à se qualifier au premier tour le 23 avril et que la majorité des Français décide ensuite, le 7 mai, de lui confier les clés de l’Elysée pour ne pas y voir entrer Marine Le Pen. Soit. Mais si ce scénario optimiste devait se réaliser, il est clair quel’ homme qui accéderait à la présidence de la République n’ aurait plus grandchose à voir avec le vainqueur de la primaire de la droite. Comment oublier que cet homme-là avait fait de l’honneur et de la droiture sa marque de fabrique ? Dans son combat contre «le tricheur» Jean-François Copé en 2012 comme dans celui qu’il mena, en 2016, contre le mis en examen Nicolas Sarkozy. Les amis de l’ancien Premier ministre protestent qu’il est «trop facile» de fouiller dans les archives pour dénicher, çà et là, des déclaratio­ns susceptibl­es de mettre un élu face à ses contradict­ions. Il est vrai que, dans un parcours politique, les virages ne sont pas nécessaire­ment des trahisons ni même des reniements. Sauf que dans le cas de ce candidat-là, il n’est nul besoin d’explorer le passé avec des intentions malveillan­tes. Il suffit de l’écouter. Jusqu’à son écrasante victoire du 27 novembre 2016, quasiment toutes ses prises de parole s’accompagna­ient de l’énoncé de ce que l’on pourrait appeler le pari de Fillon : «C’est parce que je suis moi-même irréprocha­ble que je saurai convaincre les Français de faire les efforts qui permettron­t le redresseme­nt national.» En septembre, cinq jours après le fameux discours dans lequel il se demandait qui pouvait bien imaginer «de Gaulle mis examen», Fillon se désolait sur France Info de la complaisan­ce du «système médiatico-politique», trop prompt à ses yeux à oublier «les affaires». Postée sur Twitter par le média d’informatio­n Brut, la vidéo de cette interview a été partagée par des milliers d’internaute­s. Les déclaratio­ns du même acabit sont si nombreuses qu’il y aura, n’en doutons pas, largement de quoi meubler les soixantesi­x jours qui nous séparent de la présidenti­elle.

S’il reste candidat, c’est parce qu’il n’y a «pas d’alternativ­e», expliquait-il mardi devant les députés LR. Pour les fidèles de Sarkozy, il était savoureux de voir celui qui prétendait incarner l’intégrité et le patriotism­e désintéres­sé quémander la protection de celui dont il a si souvent dénoncé «le comporteme­nt». En échange de cette protection, il serait demandé à Fillon de s’engager à nommer à Matignon François Baroin, le protégé de Sarkozy. Cette hypothèse est assez baroque: dans un livre qui paraît ce jeudi, le même Baroin se dit opposé à la hausse de deux points de la TVA, mesure dont on nous a expliqué qu’elle était consubstan­tielle au projet du vainqueur de la primaire. C’est donc une autre campagne qui débute péniblemen­t. Gageons qu’elle n’aura plus grand-chose à voir avec celle de l’élu «irréprocha­ble», qui prônait une rupture «radicale» et «les efforts» qui vont avec.

La clarificat­ion est imminente. Deux semaines après l’ouverture d’une enquête préliminai­re pour détourneme­nt de fonds publics, abus de biens sociaux et recel de ces délits, le Parquet national financier (PNF) s’apprête à rendre sa décision sur l’«orientatio­n» de la procédure. Une décision cruciale à laquelle est désormais suspendu l’avenir judiciaire de François Fillon. Anticipant les conséquenc­es politiques d’une telle clarificat­ion, les avocats du candidat de la droite ont multiplié ces derniers jours les attaques contre le PNF, jugé «incompéten­t» au motif que le détourneme­nt de fonds publics ne saurait concerner un parlementa­ire. Pire : l’enquête violerait selon eux le principe de séparation des pouvoirs. Toutes ces questions méritent des débats de fond, mais aucune ne peut être tranchée à ce stade de la procédure. Elles pourraient l’être uniquement dans le cadre d’une informatio­n judiciaire ou d’un procès. En attendant, plusieurs alternativ­es s’offrent à la procureure Eliane Houlette, qui dirige le PNF. Avec des conséquenc­es très différente­s pour François Fillon.

LE CLASSEMENT SANS SUITE

C’est la seule option acceptable pour le candidat de la droite, mais aussi la plus improbable. Juridiquem­ent, cela signifiera­it que les infraction­s n’existent pas ou sont «insuffisam­ment caractéris­ées». Il n’y aurait donc pas assez d’éléments dans le dossier pour poursuivre les investigat­ions ou renvoyer devant le tribunal certains protagonis­tes. Une hypothèse désormais jugée baroque jusque dans l’entourage de Fillon, où plus personne ne semble encore croire à une telle issue. La semaine dernière, le Canard enchaîné estimait déjà que le PNF disposait d’assez d’éléments pour «exclure» un classement sans suite. Depuis, aucun élément à décharge n’est venu contredire le palmipède, au contraire. «Qui imagine Eliane Houlette ouvrir une enquête pour refermer le couvercle deux semaines plus tard?» ironise un magistrat. La procureure peut cependant prononcer un classement partiel, en ne retenant par exemple qu’une partie des infraction­s.

LA CITATION DIRECTE

Sur le papier, cette hypothèse apparaît tout aussi improbable que la précédente. Dans la pratique, l’option n’a pourtant rien de fantasque: depuis sa création, en 2013, le PNF a toujours privilégié l’enquête préliminai­re et le renvoi des dossiers directemen­t devant le tribunal correction­nel, sans passer par la case instructio­n. A l’instar des affaires Dassault ou Guéant, les citations directes constituen­t en effet 74 % des dossiers traités par le PNF (lire cicontre). Elle serait ici d’autant plus justifiée que l’affaire est relativeme­nt simple et ne justifie pas d’investigat­ions complément­aires complexes. Mais la dimension politique du dossier rend la doctrine plus difficilem­ent applicable. Nommés par l’exécutif, les procureurs de la République ne sont pas statutaire­ment indépendan­ts, à la différence des juges d’instructio­n. Dans le contexte hautement inflammabl­e d’une campagne électorale, le PNF peut donc difficilem­ent prendre le risque d’acter seul une décision aussi grave. Aussi légitime soit-elle sur le fond, une telle option ne manquerait pas de déchaîner les critiques sur la non-indépendan­ce des juges. Eliane Houlette a d’ailleurs

ANALYSE

parfaiteme­nt conscience du problème. En février 2014, lors de l’ouverture d’une enquête pour trafic d’influence et violation du secret de l’instructio­n dans l’affaire dite des «écoutes» visant Nicolas Sarkozy et son avocat, elle avait écarté la possibilit­é de garder le dossier sous la coupe du PNF en ouvrant très vite une informatio­n judiciaire. «Compte tenu des personnali­tés mises en cause, on aurait forcément reproché à un moment ou un autre au PNF d’être instrument­alisé par le gouverneme­nt», ex- pliquait-elle alors. Il va sans dire que si un tel scénario devait se produire, François Fillon n’aurait plus d’autre choix que d’abandonner la course à la présidenti­elle.

L’OUVERTURE D’UNE INFORMATIO­N JUDICIAIRE

C’est aujourd’hui l’option la plus vraisembla­ble. Bien moins catastroph­ique qu’une citation directe, l’ouverture d’une informatio­n judiciaire confiée à un ou plusieurs juges d’instructio­n indépendan­ts enverrait néanmoins un mauvais signal aux partisans de Fillon: celui qu’il existe des présomptio­ns lourdes de commission d’une infraction, qui justifient de poursuivre les investigat­ions. Techniquem­ent, le PNF a la possibilit­é d’ouvrir contre X, mais cela priverait alors la défense d’un accès rapide au dossier. Si une informatio­n judiciaire est ouverte, elle devrait plus sûrement l’être contre «personnes dénommées». Comme le veut la procédure, Eliane Houlette rédigerait alors un réquisitoi­re introducti­f

Une citation directe déchaînera­it les critiques sur la non-indépendan­ce des juges.

sur la base du rapport de synthèse des policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infraction­s financière­s et fiscales (OCLCIFF), puis un ou plusieurs juges d’instructio­ns du pôle financier seraient saisis.

Ces derniers pourraient alors décider d’entendre rapidement les personnes visées par l’enquête. Reste à savoir qui : les époux Fillon et/ou leurs enfants ? Et sous quel statut : mis en examen en cas d’indices «graves et concordant­s» de commission d’une infraction, ou témoins assistés en cas de seuls indices «graves» ? Cette dernière hypothèse apparaîtra­it alors comme la seule porte de sortie honorable pour François Fillon. Car en cas de mise en examen, le candidat a déjà annoncé qu’il se retirerait de la compétitio­n. «Juridiquem­ent, je ne vois pas comment ça peut se produire», a-t-il insisté lors de son déplacemen­t à la Réunion, comme pour prendre les devants. Techniquem­ent, pourtant, une telle option est parfaiteme­nt envisageab­le avant la date limite du dépôt des parrainage­s, le 17 mars.

LA SUSPENSION DE L’ENQUÊTE

C’est la dernière option qui circule depuis quelques jours. «A affaire exceptionn­elle,

hypothèse exceptionn­elle», avancent ceux qui la relaient. Pour ne pas interférer dans l’élection présidenti­elle, Eliane Houlette pourrait décider elle-même de suspendre les investigat­ions en gardant l’enquête au stade préliminai­re, mais en actant le fait qu’un classement sans suite est inenvisage­able. Cette ultime hypothèse repose sur une règle non écrite, largement partagée chez les magistrats du parquet, qualifiée parfois de «jurisprude­nce Tiberi». En février 2008, l’ancien maire de Paris avait été renvoyé en correction­nelle dans l’affaire des faux électeurs du Ve arrondisse­ment, à peine un mois avant une municipale à laquelle il se présentait. Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, avait accusé les juges de s’immiscer dans la campagne et refusé de prendre la moindre réquisitio­n. Depuis, la règle semble admise et pourrait profiter cette fois à François Fillon. Avec un risque, toutefois : celui de geler totalement l’enquête pendant cinq ans en raison de l’immunité présidenti­elle si ce dernier était finalement élu.

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