Libération

La scission, vieux démon du FN

- DOMINIQUE ALBERTINI

C’est une vieille maladie frontiste dont certains croient détecter le retour: la scission, qui verrait les amis de Florian Philippot et la tendance droitière du Front national suivre des chemins séparés. Hypothèse incertaine, mais qu’impose l’histoire du parti: depuis sa création, en 1972, celui-ci a connu plusieurs schismes, d’ampleur variable. Un moyen comme un autre de solder les conflits internes, dans un mouvement dépourvu de soupapes démocratiq­ues. Mais aux conséquenc­es désastreus­es: parfois pour le FN, toujours pour les sortants. La plus connue de ces scissions a vu le numéro 2 frontiste Bruno Mégret quitter le parti en 1999, entraînant avec lui une bonne moitié de l’appareil. Si l’aventure a vite tourné court, elle a considérab­lement affaibli le FN sur les plans humain et financier. «Je sais le prix que [la scission] a coûté au combat national, témoignait en 2016 le vice-président Louis Aliot sur le site TVLibertés. Je souligne toujours que cette scission ne reposait sur rien, sinon des querelles d’ambitions. L’air de rien, cela a fait perdre au mouvement national dix ans au minimum.» Une vingtaine d’années plus tard, le souvenir de cet épisode reste vivace en interne : «Au FN, il n’y a pas un jour sans qu’ils parlent de la scission, confie Philippe Martel, ancien directeur de cabinet de Marine Le Pen. Quelques jours après mon arrivée, on m’a montré de vieilles vidéos où [l’ex-mégrétiste] Nicolas Bay critiquait Marine, en me disant : “Fais attention à cet enfoiré.”» Un «enfoiré» pourtant revenu au bercail… et devenu depuis secrétaire général du FN. Ce dernier a lui-même quelques souvenirs du genre: «Au Front, il y a toujours une angoisse de la scission, confiait-il l’an passé. Quand j’étais jeune militant, on me montrait des mecs en me disant : “Tiens, lui, il était au Parti des forces nouvelles”», mouvement issu de la première scission du FN, intervenue en 1973.

Dans les années 2000, une dernière vague a conduit à la sortie de plusieurs opposants à Marine Le Pen, comme l’ancien secrétaire général Carl Lang, aujourd’hui à la tête du très radical Parti de la France. Sans plus de succès électoral que Mégret avant eux. De quoi faire réfléchir les autres déçus du marinisme, résignés depuis au caractère incontourn­able de l’étiquette FN. Philippot pourrait-il réactiver cette vieille tradition ? L’eurodéputé a évoqué l’hypothèse, promettant qu’il quitterait le FN si celui-ci renonçait à la sortie de l’euro. Puis en créant sa propre associatio­n, «les Patriotes», un canot de sauvetage destiné à accueillir le vice-président et ses amis en cas de divorce. Car «si Philippot se barre, tout le monde se barre, assure un proche. Ses soutiens, ceux qui rédigent les notes pour les passages médias…» Une partie certes minoritair­e de l’appareil frontiste, mais jeune, qualifiée et comportant nombre d’élus régionaux ou municipaux. La question se serait même déjà posée dans le premier cercle philippoti­ste, selon notre source: «En 2015, après les déclaratio­ns polémiques de Jean-Marie Le Pen, on se voyait tous les soirs et on se demandait : “Qu’est-ce qu’on fait si rien ne bouge ?”» L’exclusion de l’ancien président du FN avait réglé la question. Pour combien de temps ?

D.Al.

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