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Après son tour du monde, Trump retrouve le réel américain

L’imprévisib­le président s’est déplacé pendant neuf jours en Arabie Saoudite, en Israël et en Europe. S’il n’a pas fait autant de gaffes qu’attendu, sa diplomatie reste floue. Mais les problèmes l’attendent à Washington.

- Par FRÉDÉRIC AUTRAN Correspond­ant à New York

Les premiers pas à l’étranger de Donald Trump furent à son image. Atypique. Jamais depuis Jimmy Carter un locataire de la Maison Blanche n’avait attendu aussi longtemps pour sortir des Etats-Unis. Voyage tardif, donc. Mais voyage pionnier : jamais un président américain n’avait choisi le Moyen-Orient pour son premier déplacemen­t. Sur les dix prédécesse­urs de Trump, huit avaient opté pour les voisins canadien ou mexicain. En pleine guerre froide, les deux autres – Nixon et Carter – avaient choisi l’Europe. Pour son voyage diplomatiq­ue inaugural, le milliardai­re et ses conseiller­s ont vu les choses en grand: six étapes (Arabie Saoudite, Israël, Cisjordani­e, Vatican, Belgique et Italie) en huit jours, trois sommets (dirigeants musulmans, Otan et G7) et d’innombrabl­es entretiens bilatéraux, du pape François au président palestinie­n en passant par Emmanuel Macron et le chef d’Etat égyptien. Un défi pour Trump, facilement distrait et peu au fait des dossiers internatio­naux. Que retenir de ses prises de parole –et de ses non-dits?

Riyad, première étape sur mesure

Des drapeaux américains flottant dans les rues, des portraits géants de lui à travers la capitale saoudienne : Trump, jamais aussi heureux que lorsqu’il se sent adulé, ne pouvait guère rêver d’un meilleur coup d’envoi. Le roi Salmane a accueilli en personne le couple Trump sur le tapis rouge déroulé au pied d’Air Force One. Un honneur que le souverain saoudien n’avait pas octroyé à Barack Obama. «Obama était très impopulair­e auprès des Saoudiens et Trump essaie d’en tirer avantage pour relancer la relation bilatérale. Sa politique étrangère est fortement axée sur le terrorisme et je pense qu’il a compris que pour combattre le terrorisme, il faut avoir l’Arabie Saoudite comme solide alliée. Tout cela faisait de Riyad une première étape idéale», analyse Robert Jordan, ambassadeu­r des Etats-Unis en Arabie Saoudite de 2001 à 2003. Décidée il y a plusieurs mois, cette étape saoudienne a été préparée par une poignée de proches conseiller­s de Trump, à commencer par Jared Kushner. Le gendre du Président a tissé des liens étroits avec Mohammed ben Salmane, vice-prince héritier saoudien et influent ministre de la Défense, reçu à dîner en mars à Washington chez le couple Kushner. Ces intenses préparatif­s, supervisés aussi par l’expériment­é conseiller à la Sécurité nationale H.R. McMaster, ont permis la signature de juteuses transactio­ns commercial­es, immédiates ou à venir. Montant global : 380 milliards de dollars (340 milliards d’euros) dont 110 milliards de contrats d’armements. «C’était une journée formidable, s’est réjoui samedi le président américain. Des centaines de milliards de dollars d’investisse­ments aux Etats-Unis et des emplois, des emplois, des emplois.» Son leitmotiv.

Un changement de ton sur l’islam…

Docteur Donald et Mister Trump. Après une campagne ouvertemen­t islamophob­e,lesuccesse­urd’Obama a prononcé à Riyad un discours inhabituel­lement modéré. Où était donc le théoricien du Muslim Ban, qui déclarait l’été dernier «l’islam nous déteste»? Devant une cinquantai­ne de dirigeants arabo-musulmans, Trump a salué «l’hospitalit­é» des Saoudiens et la «grandeur» de la civilisati­on musulmane. Avant d’appeler à combattre le terrorisme. Sans amalgame: «Ce n’est pas une bataille entre différente­s religions ou différente­s civilisati­ons.»

Professeur de relations internatio­nales à l’université Columbia, Gary Sick salue cette apparente «remise à zéro», en tout cas rhétorique : «Sa campagne était pleine d’attaques contre l’islam en général, tous les musulmans étaient essentiell­ement traités comme des terroriste­s. Je pense qu’il a beaucoup appris depuis son arrivée au pouvoir. Il a rencontré beaucoup de dirigeants musulmans et il a conclu qu’ils n’étaient pas tous mauvais et qu’il pouvait travailler avec eux. En réalité, je pense qu’il a réalisé qu’il avait besoin de travailler avec eux.»

…pas sur l’Otan

Après son discours modéré sur l’islam, certains espéraient que Trump adopterait aussi un ton plus convention­nel sur l’Otan. «Il doit parler de la Russie», confiait jeudi à Libération James Townsend, chargé de l’Otan au Pentagone sous Obama. Il espérait aussi voir Trump défendre l’article 5, la clause de solidarité en cas d’attaque contre un membre de l’organisati­on. Publiqueme­nt, Trump n’a fait ni l’un ni l’autre. Deux mots sur la «menace russe», pas un seul sur l’article 5. A l’inverse, il s’est épanché sur les deux priorités de Washington, que l’Otan avait mis tout en haut de l’agenda

pour satisfaire l’imprévisib­le dirigeant américain : la lutte antiterror­iste et le meilleur partage du «fardeau» des dépenses militaires. Après avoir réclamé un moment de silence en hommage aux victimes de Manchester, Trump a bousculé ses alliés, les accusant d’avoir abusé des «contribuab­les américains» .Un sermon peu apprécié de ses partenaire­s. Quant à l’absence de soutien explicite à l’article 5, c’est «une erreur majeure», a déploré Nicholas Burns, ancien ambassadeu­r des Etats-Unis à l’Otan. Une diplomatie illisible De cette tournée, on retiendra aussi tout ce que Trump n’a pas dit. Au Proche-Orient, le président américain a multiplié les omissions. A Riyad, il a beaucoup parlé de terrorisme sans jamais en évoquer certaines des causes – inégalités, chômage, corruption. Pas un mot non plus sur la défense des droits de l’homme et des libertés des femmes. «Nous ne sommes pas là pour sermonner. Nous ne sommes pas là pour dire aux autres comment vivre,

a martelé Trump. Nous sommes là pour offrir un partenaria­t basé sur des intérêts et des valeurs partagés.» Sous-titre : faites ce que vous voulez, tant que vous luttez à nos côtés contre le terrorisme.

A Tel-Aviv, Bethléem ou Jérusalem, celui qui ambitionne de conclure

«l’accord ultime» n’a pas parlé d’un Etat palestinie­n. Pas plus qu’il n’a évoqué la colonisati­on israélienn­e. «Je crois qu’il veut garder toutes les options ouvertes pour la négociatio­n, estime l’ancien ambassadeu­r Robert Jordan. Il aborde ce dossier sans idées préconçues.» Sans idées tout court, diraient d’autres. Ceux qui espéraient une clarificat­ion sur la diplomatie Trump devront patienter. «L’administra­tion Trump n’a pas articulé un ensemble cohérent de politiques qui permettrai­ent d’avancer vers les objectifs fixés par le Président sur chacun des dossiers évoqués lors de ce voyage», résume l’ancien diplomate Jeffrey Rathke, spécialist­e de l’Europe au Centre pour les études stratégiqu­es et internatio­nales. Un succès, vraiment ? «Quelque chose va mal tourner. On le sait, même si on ne sait pas quoi», prédisait la semaine dernière, sous couvert d’anonymat, un homme politique israélien. Avec le «président

Twitter», adepte de l’invective et de la provocatio­n, on pouvait s’attendre au pire. De ce point de vue, la longue tournée de Trump sonne comme un succès. Pour éviter tout vagabondag­e sur Twitter, son équipe lui avait concocté un agenda extrêmemen­t chargé. Cela a fonctionné : en une semaine, le milliardai­re n’a tweeté qu’une vingtaine de fois, le plus souvent pour remercier ses hôtes. Pas de dérapage mais pas de conférence de presse non plus pour éviter les questions sensibles. «Avec Donald Trump, la barre du succès a été abaissée à un niveau extrême. Tout ce qui n’est pas un désastre est considéré comme un succès. Selon ces critères propres à Trump, son voyage semble avoir été un succès», ironise Jeffrey Rathke. Jeux de mains Au chapitre anecdotiqu­e, Trump semble obsédé par les mains. Vexé comme un pou, l’an dernier, après une remarque de Marco Rubio se moquant de ses «petites mains», le milliardai­re avait répliqué lors d’un débat télévisé, assurant qu’il n’y avait «aucun problème» avec la taille de ses mains –ou de quoi que ce soit d’autre. A deux reprises, lors de sa tournée, il a tenté de prendre la main de son épouse, Melania, qui l’a discrèteme­nt –mais sèchement– repoussée. A Bruxelles, Trump a refait le coup de la poignée de main avec violent tirage de bras inclus. Au Premier ministre belge d’abord, puis à Macron. Un peu plus tôt, les présidents américain et français avaient déjà échangé une étrange poignée de main. Longue, virile, mâchoires serrées et sourires crispés. Tels deux boxeurs se toisant à la pesée. Que dire enfin de ce moment gênant où Trump a sèchement écarté de la main droite le Premier ministre du Monténégro, Dusko Markovic, pour se placer au premier rang sur la photo des dirigeants de l’Otan ? Le «président Twitter» était peut-être resté à Washington. Mais le mâle dominant, lui, était bien là. Plus dur sera le retour Cette tournée diplomatiq­ue plutôt maîtrisée pourrait-elle remettre sur de bons rails Trump, plombé par les affaires, les difficulté­s politiques et une cote de popularité en berne ? «Un voyage de neuf jours sans problème majeur pourrait l’aider légèrement dans les sondages. Certains Américains le verront peut-être sous un jour un peu différent», avance l’ancien diplomate Rathke. Qui nuance toutefois : «Ce voyage ne règle aucun des problèmes politiques qui l’attendent à Washington, que ce soit la réforme de la santé, son projet de budget très controvers­é ou l’enquête sur les liens avec la Russie.» Welcome back, Mister President! •

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VUCCI. AP Avec sa femme, à son départ de Washington, le 19 mai.
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B. AL-JALOUD. AFP A Riyad, le 20 mai.
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EVAN VUCCI. AP PETER DEJONG. AP A gauche, au Vatican, mercredi. Ci-dessous, avec Emmanuel Macron, jeudi, à Bruxelles.
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PHOTO MANDEL NGAN. AFP Lundi, à Jérusalem.
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