Libération

Séries du ramadan: les femmes contre l’EI

Pour le jeûne musulman qui débute ce samedi, les chaînes arabes redoublent d’imaginatio­n. Comme la saoudienne MBC 1, qui diffuse une fiction dénonçant l’organisati­on terroriste.

- Par HALA KODMANI

Elles avancent, la kalachniko­v en évidence devant leur abaya, pantalon de treillis et rangers aux pieds. Une dizaine de femmes en niqab, tête ceinte d’un bandeau noir frappé aux lettres blanches du drapeau de l’Etat islamique (EI), descendent l’escalier du QG de la brigade féminine à laquelle elles appartienn­ent. C’est l’une des premières scènes des Corbeaux noirs, le feuilleton en 30 épisodes qui sera diffusé à partir de ce samedi et pendant tout le ramadan.

Fanatiques.

Il s’agit de «la plus grosse production de 2017», selon la chaîne satellitai­re saoudienne MBC 1, la plus regardée dans le monde arabe, notamment pendant le mois sacré. Dans cette série consacrée à l’EI, on ne s’amuse plus, comme on a pu le voir souvent ces dernières années sur les chaînes arabes, à tourner en dérision ou en ridicule les faits et gestes des jihadistes. Il s’agit d’une oeuvre «dramatique» qui veut restituer les réalités et les horreurs de l’organisati­on, en s’appuyant sur des histoires vécues par ceux et celles qui ont intégré les rangs de l’EI ou qui ont été soumis à son joug en Irak et en Syrie. Tout y passe, selon les résumés présentés par la chaîne et les reportages réalisés au printemps dernier sur le tournage dans un village de montagne libanais placé sous haute protection. On y retrouve forcément des chefs de guerre barbus fanatiques et impitoyabl­es, hypocrites et corrompus, des scènes d’égorgement de «renégats» insoumis et des attentats-suicides contre des civils à Bagdad ou ailleurs.

Réalités.

Mais les drames sociaux et familiaux provoqués par l’ordre imposé par l’organisati­on terroriste font aussi l’objet d’un traitement particulie­r. L’embrigadem­ent et le lavage de cerveau des enfants, enlevés à leurs parents pour être entraînés dans des camps où ils apprennent à n’obéir qu’à leur chef sont mis en avant.

Mais ce sont les femmes, plus souvent victimes que bourreaux, et finalement héroïnes, qui tiennent le haut de l’affiche. Car dans la brigade féminine présentée dès le premier épisode et qui demeure au centre de l’intrigue, chacune a son histoire et le visage bien découvert. Certaines ont été séduites par l’argent pour échapper à la misère, d’autres par une aventure exceptionn­elle, avant de découvrir les atroces réalités. Il y a même une mère de deux garçons qui rejoint le mouvement pour échapper à la justice après avoir tué son mari qui la trompait. Rien n’est oublié dans les profils féminins. Ni les jeunes femmes occidental­es attirées via les réseaux sociaux, ni l’esclave yézidie employée dans la maison d’un chef jihadiste et qui devient l’amie de l’épouse de celui-ci, laquelle l’aidera à s’échapper. «C’est aussi parce que le public des feuilleton­s du ramadan est en majorité féminin que les femmes occupent une telle place», relève un commentate­ur dans une revue égyptienne. Avec les Corbeaux noirs, MBC 1 prétend «participer à la lutte mondiale contre le terrorisme à travers cette série», a déclaré Ali Jaber, le directeur saoudien de la chaîne, qui travaille d’ores et déjà à une version anglaise. Cette superprodu­ction s’inscrit en effet dans la nouvelle politique affichée par le royaume – un combat sans merci contre l’extrémisme islamique – pour se défendre des soupçons de lien avec le terrorisme qui pèsent sur lui. Deux des trois réalisateu­rs du feuilleton sont d’ailleurs saoudiens, ainsi que la majorité des comédiens et des comédienne­s célèbres qui jouent aux côtés d’autres vedettes égyptienne­s, libanaises, koweïtienn­es ou tunisienne­s.

Concurrenc­e. Reste à savoir si le grand public des feuilleton­s du ramadan va accrocher à cette série. Les images des Corbeaux noirs reprennent celles que l’on voit quotidienn­ement dans les JT. La concurrenc­e reste rude pendant le mois sacré, quand toutes les chaînes du monde arabe diffusent des centaines de séries pour attirer les fidèles. Les téléspecta­teurs en regardent une dizaine par jour pour passer le temps, en attendant l’heure de la rupture du jeûne ou pendant les soirées qui se prolongent après l’iftar (le repas qui est pris au coucher du soleil) et parfois jusqu’au repas de l’aube.

Les téléspecta­teurs ont un vaste choix, parmi les comédies satiriques, policières ou d’espionnage, les feuilleton­s à l’eau de rose produits en Egypte, dans les pays du Golfe ou du Maghreb, et même en Syrie. «Pas question de revoir les visages des monstres barbus et les images des attentats après une journée de jeûne, déclare une grandmère du Caire, Oum Hassan, 70 ans, à Libération. Mais je vais peut-être quand même jeter un coup d’oeil à cette “bombe télévisuel­le”, comme on nous la décrit dans les bandes-annonces.» Pour ses soirées du ramadan, c’est la nouvelle comédie musicale Au La La Land, production égyptienne qui se déroule dans une île lointaine d’Asie, qui aura sa préférence. •

«La chaîne veut participer à la lutte mondiale contre le terrorisme à travers la série “les Corbeaux noirs”.»

Ali Jaber directeur de la chaîne saoudienne MBC1 L'HISTOIRE DU JOUR

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PHOTO MBC Les Corbeaux noirs suit les aventures d’une brigade féminine de l’Etat islamique.

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