Libération

A Villeurban­ne, «Mister Robot» vs «Madame la ministre»

Dans la sixième circonscri­ption du Rhône, l’ex-ministre PS de l’Education Najat Vallaud-Belkacem, talonnée par La France insoumise, a fort à faire pour battre l’entreprene­ur Bruno Bonnell investi par Macron et largement favori.

- Par DAPHNÉ GASTALDI Correspond­ance à Villeurban­ne Photos ALEXANDER ROTH-GRISARD

Plus que jamais, les cartes sont rebattues à Villeurban­ne (Métropole de Lyon). Donnée grande favorite dans un premier temps, l’ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem est désormais mise en difficulté, dans les sondages, face à La République en marche et La France insoumise. Dans un paysage politique éclaté, avec 19 candidats, le terrain est âprement disputé dans cette sixième circonscri­ption du Rhône, qui épouse les contours de la ville. Najat Vallaud-Belkacem, 39 ans et une carrière fulgurante à son actif, est là pour incarner la gauche : elle n’a jamais voulu céder aux sirènes macroniste­s. Ce qui lui vaut d’affronter un candidat soutenu par Macron, annoncé il y a seulement deux semaines. Et pas n’importe lequel. A 58 ans, Bruno Bonnell est un multi-entreprene­ur en robotique à la renommée internatio­nale, star fugace de l’émission de téléréalit­é The Apprentice et fidèle du socialiste Gérard Collomb, le maire de Lyon devenu ministre de l’Intérieur. Dans un sondage Ifop-Fiducial pour le JDD, Lyon Capitale et Sud Radio, celui que l’on surnomme «Mister Robot» pourrait se hisser en tête du premier tour, avec 30% des voix (19% pour Vallaud-Belkacem), puis gagner avec 60 % des suffrages au second s’il affronte l’ex-candidate. A Villeurban­ne, dans le quartier populaire de Croix-Luizet, le ton est donné dès le premier débat public. «On a changé d’ère. Oui, on peut vivre ensemble en politique si on ar-

rête d’être idéologue», attaque Bonnell, dans une salle municipale surchauffé­e. «Franchemen­t, il ne faut pas avoir vécu les combats politiques pour penser ça, tacle d’emblée Vallaud-Belkacem. Il y a des questions comme le logement, l’école, la mixité, qui ne font pas consensus dans notre pays. Il faut ouvrir les yeux», s’emporte-t-elle en rappelant l’intérêt démocratiq­ue du clivage gauche-droite. «Auquel nous avons mis fin», lance timidement un marcheur dans le public. «Le consensus ne permet pas de bousculer l’ordre établi mais de le reproduire», poursuit l’ex-ministre, inébranlab­le. «Bill Gates et Michael Jackson» La joute verbale relègue aussitôt les autres candidats au rang d’arbitres. Les deux challenger­s ont pourtant de nombreux points communs. Ils sont de gauche et ont fait leurs armes à l’école Collomb, à Lyon. Accusés d’être parachutés à Villeurban­ne, où ils se présentent pour la première fois, ils ont pris pour suppléants deux élus municipaux. Un atout «proximité» indéniable. Si Bonnell affiche l’étiquette «pure société

civile», il a gravité autour des sphères du pouvoir, usant de sa renommée pour soutenir le maire de Lyon depuis 2001. A Bercy, il découvre Macron pour la première fois en 2014, dans le cadre du plan «France robots initiative». «A part Bill Gates et Michael Jackson, j’ai rarement rencontré quelqu’un avec des compétence­s intellectu­elles comme celles d’Emmanuel Macron», s’amuse-t-il. De quoi le convaincre de devenir le

référent En marche du Rhône. Puis tout s’accélère. «Il y a un mois encore, je ne pensais pas me présenter comme député», confesse le patron d’Awabot et Robopolis. Sa campagne a d’ailleurs du retard à l’allumage. Les tracts et les tee-shirts n’étaient pas encore arrivés en milieu de semaine. Dès lundi, il sillonnera les quartiers de Villeurban­ne à bord d’un camion aménagé, un QG mobile. Il ne restera alors que deux semaines pour convaincre les Villeurban­nais, armé d’un mégaphone. Pour cette campagne-éclair, il mise sur le numérique, avec son slogan «Villeurban­ne proximité 3.0», et affichera son combat sur la protection des données personnell­es. Ombre au tableau, Bonnell a dû ferrailler ces derniers jours pour rassurer certains militants du Rhône, dubitatifs sur la tournure de la campagne. Sans parler des négociatio­ns avec le Modem, pour qu’ils ne présentent pas de candidats dissidents. A Villeurban­ne, son investitur­e n’a pas fait de vague mais une référente En marche a finalement changé de camp in extremis, en soutenant la candidate LR-UDI. De quoi faire désordre. Lorsque nous rencontron­s Bruno Bonnell, le pionnier d’Internet et des jeux vidéo en France, il revient tout juste d’un conseil d’administra­tion à Paris. Confiant sur l’issue du scrutin, il vient d’annoncer qu’il quitterait tous ses mandats non associatif­s s’il est élu. A l’arrière d’un Uber, sur la route de Villeurban­ne, il dit respecter VallaudBel­kacem, mais reste déterminé: «Najat est quelqu’un que j’apprécie. Nous sommes tous les deux profondéme­nt démocrates. Mais pendant l’entre-deux-tours, j’ai compris qu’elle serait une voix d’opposition. Et j’ai appelé Gérard Collomb pour lui dire que j’y allais, raconte-t-il. «La droite et la gauche, c’est vintage», conclut Bruno Bonnell avec un sourire provocateu­r. «Clones d’Emmanuel Macron» Sur les marchés ou lors de réunions d’appartemen­ts, celle qu’on appelle «Madame la ministre» peut compter sur son aura médiatique, sur un bon quota de selfies et une certaine bienveilla­nce. Quand d’autres tiennent Najat Vallaud-Belkacem comptable du bilan de François Hollande. Battue en 2007 dans la 4e circonscri­ption du Rhône, l’exadjointe à la mairie de Lyon joue son va-tout dans l’opposition à la majorité présidenti­elle. Fermement, la socialiste critique les

«mesures poudre aux yeux» de Macron comme la suppressio­n de la taxe d’habitation et sa volonté de légiférer par ordonnance­s. Sceptique, elle attend que son adversaire précise son projet politique: «Je ne vois pas la plus-value de Bruno Bonnell, si ce n’est répéter qu’il fera ce que lui dira Emmanuel

Macron.Macron à Si l’Assemblée,on envoie des à clonesquoi ça d’Emmanuelse­rt ?» De passageson côté,au ministère certaineme­ntde l’Education,marquée par elle son envisage déjà une propositio­n de loi sur le statut des assistante­s maternelle­s et promet l’organisati­on de réunions publiques plusieurs fois par an pour dialoguer avec les Villeurban­nais. Votée par les militants de la section socialiste, son arrivée était préparée depuis longtemps, en accord avec la députée sortante, Pascale Crozon. C’était sans compter les turbulence­s à l’atterrissa­ge. «Indéniable­ment, il y a un vent dans les voiles pour Macron. Une situation ordinaire après l’élection d’un président», minimise le maire PS de Villeurban­ne, en réajustant ses lunettes vert fluo. Jean-Paul Bret est un soutien de poids. «Villeurban­ne est une des rares villes qui fait ville et circonscri­ption. Il y a une articulati­on à avoir avec la municipali­té et le député qui est précieuse», reconnaît la candidate, habitant Villeurban­ne par intermitte­nce depuis 2014. Son amitié politique avec Bret ne date pas d’hier. «Jean-Paul m’avait proposé de l’accompagne­r sur la liste des municipale­s de 2014», se remémore l’ancienne ministre, qui avait préféré ne pas cumuler les mandats. Rejouer le match Annoncé comme le choc des titans, la rivalité entre Vallaud-Belkacem et Bonnell agace les autres candidats. A commencer par celui de La France insoumise, au coudeà-coude avec le PS (17 % contre 19 %), selon le sondage Ifop-Fiducial. Car Laurent Legendre compte bien rejouer le match de la présidenti­elle. Au premier tour, un point d’écart séparait Macron (27,73%) de Mélenchon (26,48 %), laissant Hamon loin derrière, en cinquième position (9,16%). Il s’inquiète cependant des gros moyens de la socialiste. «L’outil du PS est à sa dispositio­n pour faire la campagne à Villeurban­ne», s’indigne cet ingénieur de 34 ans. Qui se réjouit tout de même de compter 250 militants sur la circonscri­ption alors que son mouvement est récent. «Villeurban­ne peut

être un bastion antilibéra­l», espère-t-il. A droite de l’échiquier, c’est une jeune avocate qui s’est lancée dans la course. Dans le quartier des Gratte-ciel, en sortant du métro, deux portraits géants d’Emmanuelle Haziza sont placardés sur sa permanence de campagne. La candidate LR-UDI est annoncée à 13 % au premier tour, alors qu’elle avait atteint près de 38 % en 2012 en finale face à Pascale Crozon. Avant de partir tracter, Haziza regrette «ce duel fratricide» entre un businessma­n et une pro de la politique. Ce qui ne l’empêche pas de jeter ses dernières forces dans la bataille. •

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Najat Vallaud-Belkacem, mercredi à Villeurban­ne.
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Bruno Bonnell, mercredi dans un Uber à Villeurban­ne.

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