Libération

Le Giro perd la tête à deux jours de l’arrivée

Cyclisme Rome tire le rideau sur l’ère Totti

- Encore la passion, New York Times. Je veux m’entraîner, être avec mes coéquipier­s et je ferai cela aussi longtemps que cela me rendra heureux. Psychologi­quement, j’ai 40 ans, mais pas physiqueme­nt.»

Le leader détrôné mais pas largué, des favoris qui n’arrivent pas à tuer le game, un Français en embuscade… L’antépénult­ième étape du Tour d’Italie, vendredi, a accouché d’un classement fou avec les quatre premiers qui se tiennent en moins d’une minute (53 secondes). A la peine depuis quelques jours sur les pentes des Dolomites, le Néerlandai­s Dumoulin a cédé son maillot rose mais limité les dégâts: il pointe à 38 secondes du nouveau leader, le Colombien Quintana. L’Italien Nibali est troisième à 43 secondes mais avec seulement 10 secondes d’avance sur le Français Thibaut Pinot qui, comme la veille, a encore grappillé du temps à ses rivaux et peut sérieuseme­nt envisager de terminer sur le podium. Samedi, la bande des quatre aura l’occasion de s’expliquer dans l’ascension du Monte Grappa mais aussi dans la descente – un exercice dans lequel brille Nibali– avant l’ultime grimpette de ce Giro. Dimanche, le dernier contre-la-montre, 28 kilomètres tout plats à Monza, devrait favoriser Dumoulin. Quant à Pinot, le programme des deux derniers jours de course n’a pas de quoi l’effrayer. Le «huitième roi de Rome» abdique ce dimanche. Seul digne héritier – pour les tifosi – à deux mille ans de distance de l’antique dynastie des Tarquins, Francesco Totti jouera contre le Genoa son dernier match officiel sous les couleurs de l’AS Rome, le club avec lequel il a débuté en 1993 et pour lequel il a disputé 785 matchs et inscrit 307 buts. Pour l’occasion, le stade olympique sera transformé en véritable Colisée. Non seulement car le peuple «gialloross­o» veut rendre un dernier hommage à son mythique «capitano», mais aussi parce qu’il y a un parfum de mise à mort dans ce dernier acte. A près de 41 ans, celui qui n’a disputé cette année que des bribes de match en raison de la défiance de son entraîneur Luciano Spalletti («Totti est une légende mais moi je dois gérer l’équipe») se serait bien vu continuer l’aventure avec le soutien des tribunes. «J’ai

expliquait-il au Mais le propriétai­re américain du club a décidé qu’il était temps de tourner la page du quadragéna­ire qui avait tendance à penser, lui l’enfant de Rome, que la cité n’était pas la seule à pouvoir prétendre à l’éternité. D’ailleurs, l’an passé, quand l’entraîneur lui accordait un peu plus de quatre ou cinq minutes de jeu, il a encore sauvé la saison de la Roma en inscrivant des buts décisifs, notamment un doublé contre l’ennemi juré de la Lazio. Prédominan­ce de la logique sportive et financière sur l’émotion, accusent aujourd’hui les innombrabl­es cohortes d’inconditio­nnels de celui qui incarne la ville bien au-delà de l’urbs. La semaine dernière, même les ultras de la Lazio ont rendu hommage à leur bourreau

– 11 buts marqués–, déployant une banderole dans la

Curva nord : «Les ennemis d’une vie saluent Francesco Totti.» Car celui que l’on avait baptisé «Er Pupone» («le gros bébé») lors de ses débuts en série A à 16 ans lors d’un obscur Brescia-Roma, restera comme un sportif d’une classe exceptionn­elle, loué et admiré par ses adversaire­s. «Il est et restera le meilleur joueur que j’ai vu de ma vie», a simplement commenté Diego Maradona. Même révérence de la part du gardien, également légendaire, de la Juventus, Gianluigi Buffon : «Je suis une de ses victimes préférées. Nous avons joué l’un contre l’autre plusieurs fois. […] Il m’a marqué beaucoup de buts. Je ne dis pas que c’était un plaisir de les encaisser mais certains furent tellement beaux que si je les avais arrêtés, j’aurais alors ruiné des chefs-d’oeuvre.» Son attachemen­t à la ville, sa fidélité au club depuis l’âge de 10 ans, ne l’ont pas seulement transformé en icône planétaire mais presque en antonomase de Rome. «Rester toute sa vie dans le même club, c’est un cas extraordin­aire dans le foot moderne», souligne l’historien Fabien Archambaul­t, spécialist­e des rapports entre sport et politique. «Totti, c’est la fierté locale, celui qui est resté proche de ses origines populaires et surtout permet à la ville de défier les riches et grands clubs du Nord. Comme Maradona qui avait rendu son honneur à Naples en battant les grosses écuries de Milan ou Turin. Mais Maradona était argentin et sulfureux, tandis que Totti est romain et un bravo ragazzo, marié et père de famille.»

Sa fidélité à la Louve lui a sans doute coûté un palmarès sportif plus épais. A son actif, «seulement» un titre de champion du monde, un scudetto, deux coupes d’Italie et un titre de meilleur buteur en 2007. «J’aurais pu gagner plus de choses ailleurs, a-t-il confié. Mais tout le monde peut gagner des trophées. Alors que ce que j’ai construit à Rome…»

ERIC JOZSEF (à Rome)

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AFP

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