Avec ses livres «Osez l’amour des rondes» et «Qui sont les violeurs ?», la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes réalise un doublé contradictoire. Contre-productif ?
Schiappa, un féminisme qui tourne en rond
On ne sait pas grand-chose sur Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les hommes et les femmes. On aimerait imaginer que l’actuel gouvernement a eu des bonnes raisons de lui confier ce poste. Ce serait formidable que cette nomination ne soit pas la récompense à une fidèle de la première heure d’En marche, mais un acte de confiance dans ses capacités et dans ses idées. Autrement on ne voit pas ce que cherche Emmanuel Macron en faisant participer au gouvernement et au Parlement des membres de la société civile. Si ces derniers sont choisis non en fonction de leurs compétences mais de leur fidélité, ce serait pire pour la démocratie que s’ils étaient membres d’un parti politi- que. Car au risque qu’ils soient des incapables s’ajoute celui de devenir des pantins. Mais pourquoi poser ces questions à propos de cette bloggeuse ? Il suffit de lire ses livres sur les femmes pour le comprendre. Prenons par exemple son ouvrage le plus connu : Osez l’amour des rondes (la Musardine, 2010). Selon Marlène Schiappa, notre société qui discrimine les grosses aussi bien au travail que dans les magasins de vêtements est au fond terriblement hypocrite. Tandis que ces femmes souffrent du regard que l’on porte sur leurs bourrelets, les hommes les adorent. «Elles sont sexy, écrit Marlène Schiappa, elles sont sensuelles, elles attirent le mâle en rut et quand on y en goûte, on ne peut plus s’en passer !» Ce faisant, au lieu de souffrir en subissant des régimes qui les affament, le sexe permettrait aux rondes de se réconcilier avec elles-mêmes. Si elles plaisent tant, si elles sont –comme le prétend Schiappa – si bonnes pour les activités sexuelles, elles devraient l’assumer et dire merde aux normes esthétiques du système, continuer à manger des frites et à se gaver de tous les desserts du monde. Que penser de ce raisonnement qui confine à la vulgarité et à la bêtise déconcertante ? Y a-t-il un sous-texte sensé qui nous échapperait ?
Les politiques de la maigreur seraient au fond antisexuelles, elles viseraient à tarir le désir et à rendre les rondes complexées et malheureuses. C’est peut-être cela qui suscita, lors de la parution d’Osez l’amour des rondes, l’ire des féministes intégristes. Elles accusèrent l’auteure d’être «grossophobe» et machiste car ces femmes ne prenaient valeur et dignité, selon ce livre, que par leur position d’objet sexuel pour les hommes. Indignée par ces critiques, Schiappa chercha à faire croire que son essai devait être interprété au second degré, renonçant ainsi implicitement à sa théorie pro-sexe. Mais c’était trop tard. Sa réputation auprès des féministes était faite.
Il était pourtant indispensable de la changer car elle était devenue entre-temps le référent en matière de féminisme d’Emmanuel Macron. Cela explique peut-être la parution, en février, de son ouvrage Qui sont les violeurs ? Essai sur la culture du viol (Editions de l’Aube). Dans ce texte, elle affirme en substance, et toujours avec la même logique d’un tambour qui raisonne, que chez les hommes, le désir de prendre les femmes par la force est naturel. La cause de cette obscure inclination est, à ses yeux, le sentiment de réussite sociale qu’ils éprouvent lorsqu’ils les violent. Comme si ce crime odieux leur octroyait une satisfaction narcissique comparable à celle qu’ils éprouvent lorsqu’ils sont élus président de la République ou prix Nobel de physique. Fort heureusement, si tous les hommes sont des violeurs nés, ils sont pourvus, selon l’auteure, des moyens de se retenir. Mais comment réussiront-ils s’il y a tant de femmes bien en chair qui les excitent, si l’on s’en tient à la logique de la nouvelle secrétaire à l’Egalité? Profitera-t-elle du poste qu’on lui a confié pour mettre les rondes au régime afin d’éviter que les femmes ne soient violées ? C’est une piste. Il n’est pas impossible que le féminisme de Mme Schiappa devienne le meilleur anneau gastrique pour les femmes en surpoids. Et la meilleure façon de se mettre En marche ? • Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.