Libération

Beatles La révolution «Pepper»

Avec le culte «Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band», le groupe se réinventai­t.

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Pour fêter ses 50 ans, retour sur le huitième album des Beatles, bande-son incontourn­able de l’été de l’amour 1967.

Le travail en studio

Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band incarne une rupture majeure pour les quatre scarabées de Liverpool. Las de sortir un album tous les six mois et de se produire en concert dans des stades où ils ne s’entendent plus jouer, couverts par les hurlements hystérique­s du public, les Beatles annoncent à leur producteur historique George Martin leur désir d’expériment­er et d’enregistre­r un album impossible à reproduire sur scène, avec l’objectif avoué d’égaler le Pet Sounds des Beach Boys (1966). Sgt.Pepper ouvre ainsi la dernière période de leur carrière, celle dite des albums «studio», où compositio­n, production et ambition musicale prennent le pas sur l’immédiatet­é juvénile des débuts. La production du premier album Please Please Me avait coûté 400 livres en 1963, il en fallut 25 000 pour Sgt. Pepper.

Une pochette iconique

Reprenant le concept originel d’un groupe fictionnel imaginé par Paul McCartney, le Sgt. Pepper’s Band, aux commandes d’un album, la pochette imaginée par les artistes pop Jann Haworth et Peter Blake d’après un dessin à l’encre de McCartney convoque une cohorte de célébrités pour un portrait de famille de légende. Fastidieus­e, la préparatio­n de la session photo a nécessité quinze jours de travail –chaque personnage est une silhouette en carton grandeur nature – pour un coût faramineux pour l’époque (3000 livres, soit cent fois le budget moyen d’une pochette). Aux côtés des Beatles en uniforme de parade, on retrouve 57 photos et 9 moulages de cire d’écrivains, d’acteurs, de psychiatre­s, de gourous indiens… comme Karlheinz Stockhause­n, Carl Jung, Edgar Poe, Fred Astaire, Bob Dylan, Tony Curtis, Laurel & Hardy, Karl Marx, H.G. Wells… Annulés à la dernière minute : Jésus-Christ, Gandhi ou encore Adolf Hitler.

De la drogue ?

Malgré le succès commercial, certains titres sont bannis des ondes de la BBC, qui juge que ce sont des appels à la consommati­on de drogues. Si les Beatles sont des consommate­urs de stupéfiant­s avérés (Rubber Soul était pour Lennon l’album de l’herbe, et Revolver celui de l’acide), la thématique de la drogue infuse Sgt. Pepper plus qu’elle n’est mise en avant. Lucy in The Sky With Diamonds sera mise à l’index à cause de ses initiales LSD –John Lennon s’en défend, arguant que l’inspiratio­n est venue d’un dessin de son fils Julian, gribouilla­nt sa copine d’école Lucy O’Donnell «dans le ciel avec des diamants» – ainsi que Fixing A Hole et Being for The Benefit of Mr.Kite!, accusées de manière erronée d’employer des expression­s argotiques liées à l’héroïne.

Des ventes astronomiq­ues

Dix mois après Revolver, le succès de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band est phénoménal. Dès sa sortie le 1er juin 1967, il se classe numéro 1 des ventes, s’écoulant à 250000 exemplaire­s en moins d’une semaine, et squatte les charts britanniqu­es vingt-sept semaines consécutiv­es, puis y revient au gré des rééditions (1987, 1992 et 2009), cumulant au cours de son histoire 253 semaines de présence dans le top 100, pour un total de 5 millions de ventes. Aux Etats-Unis, où l’album sort simultaném­ent, la réception y est encore meilleure. Il s’écoule à plus de 2 300 000 copies en six mois (11 millions à ce jour) et devient le premier album de rock à remporter le Grammy Award de l’album de l’année. Une distinctio­n auparavant réservée à Frank Sinatra, Barbra Streisand ou Judy Garland.

Les grands absents

Nés des premières sessions d’enregistre­ments débutées le 24 novembre 1966, deux des plus grands classiques des Beatles, Strawberry Fields Forever (55 heures de travail en studio) et Penny Lane, donnent le ton général de l’album, mais sont laissés de côté. La faute au manager Brian Epstein et à EMI, qui pressurise­nt les Fab Four pour qu’ils fournissen­t un single pour l’hiver 1967. Pour la première fois depuis quatre ans, le groupe échoue à se hisser en haut des charts et Epstein en appelle à une règle maison excluant des albums les titres sortis en 45 tours pour imposer leur mise à l’écart. Des années plus tard, le producteur George Martin avouera que leur éliminatio­n fut la plus grande erreur de sa vie profession­nelle. Si les deux titres ont été rajoutés à la réédition «super deluxe» de 2017 qui réunit l’intégralit­é des versions de travail en studio, aucune trace de Carnival of Light, collage bizarroïde de 14 minutes issu de ces premières sessions et resté inédit.

BENOÎT CARRETIER

 ?? PHOTO DALLE. APRF ?? En 1967, les Fab Four, lassés par les concerts hystérique­s, décident de se renouveler en studio via un groupe imaginaire.
PHOTO DALLE. APRF En 1967, les Fab Four, lassés par les concerts hystérique­s, décident de se renouveler en studio via un groupe imaginaire.

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