Libération

La gueule de «l’audre» Rencontre avec Daniel Mesguich

Suite page 36

- Recueilli par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL Photo ÉDOUARD CAUPEIL

Daniel Mesguich s’est replié au café Zéphyr, le Grévin n’est pas encore ouvert ce matin-là sur les Grands Boulevards. Le metteur en scène de 64 ans vient souvent au Grévin, où parfois il écrit. Mais c’est un homme de scène. Considéré comme d’avant-garde il y a trente ans, il compte aujourd’hui plus d’une centaine de créations à son propre répertoire. On pourrait le croire en fin de carrière, à son grand dam, alors qu’il a trois projets sur le feu, Lorenzacci­o à Grignan avec les chorégraph­es Marie-Claude Pietragall­a et Julien Derouault, une pièce dans le off d’Avignon et un opéra en Pologne avec Laurent Petitgirar­d. Sans compter l’inaugurati­on d’une école de théâtre à la rentrée, en famille, cela va sans dire. Sur la table, il a posé son livre, épais recueil de quarante ans d’écrits parus chez Gallimard. Ce réputé théoricien des plateaux, parfois controvers­é pour des mises en scène jugées outrancièr­es, questionne depuis toujours le texte et ce qu’il peut dire. Pour Daniel Mesguich, le théâtre est l’acte d’ouvrir un livre devant tout le monde. A sa manière. Entretien.

Pourquoi un livre ?

«Vous avez des archives ?» m’a demandé un jour Stella Spriet, professeur à l’université de Saskatchew­an au Canada. Deux ans après avoir passé beaucoup de temps à les classer, elle pose un tas comme ça sur la table de la salle à manger et me dit : «Daniel, il y a un livre formidable à faire.» J’étais dubitatif. J’ai beaucoup écrit dans ma vie, mais jamais je ne me suis senti écrivain. J’ai décidé d’agencer les textes dans un ordre du plaisir, plutôt que chronologi­que. Quelle ligne directrice avez-vous trouvé ? Tout le long, il y a de la déconstruc­tion. Comme si j’essayais de cerner certains concepts, comme le spectre, l’«audre»… A partir du mot latin spectare on a fait spectre, à partir d’audire on aurait pu faire «audre», la voix revenante qui parle en nous. Au fil de la lecture, je me suis rendu compte que tous les textes du livre parlent de l’audre, du spectre, de la scène comme un lieu vide prêt à tout. Je me suis dit que j’étais un obsessionn­el dangereux ! J’ai passé ma vie à dire les mêmes choses, mais de manière différente. Il y a un centre à tout ça.

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