Libération

Lily Brett, comme sur des boulettes

- Par LOU DUCAZAL Ex-administra­trice d’une librairie en ligne

Partager un loft à New York avec son mari peintre. Apprendre sans broncher qu’il part six mois exposer en Australie. Parler des hommes avec son amie Sonia à une table du café Coco, 12e Rue. Accueillir Edek, son père d’origine polonaise, octogénair­e encore vert, qui n’a plus qu’elle, sa fille, Ruth Rothwax. Et lui louer un studio. Entre un père qui arrive et un mari qui part, que redouter ou espérer ? Edek se promeut chef des fourniture­s de l’agence de rédaction épistolair­e fondée par sa fille. «Aligner les mots était une occupation que Ruth trouvait hautement rassurante. Si vous mettez les mots dans le bon ordre, ils y restent.» Une héroïne en double de l’auteur, Lily Brett (prix Médicis Etranger 2014). Ruth tente de réunir «un petit groupe de nanas qui s’estiment mutuelleme­nt. Elles auraient plus de pouvoir en tant que collectif. Pour elles et pour les autres femmes». Edek commande à tour de bras trop de papier pour l’imprimante. Et même un aspirateur robot. Le soir, le père et la fille dînent au Second Avenue, un restaurant juif new-yorkais.

Un jour il ne vient pas. Pourquoi Edek ne l’aide plus au bureau? Et voilà maintenant qu’il veut déménager dans le Lower East Side. Que manigancet-il? Ruth ne parvient plus à le contrôler. Son père marche toujours en courant comme si pour cet ancien prisonnier du ghetto de Lodz, pour ce déporté à Auschwitz, chaque geste devenait encore une question de vie ou de mort. A l’annonce que Zophia et Walentina, deux veuves polonaises à la soixantain­e dynamique, habitent chez Edek, elle craint le pire. Comment continuer à entretenir son père avec ses nouvelles amies ? C’est compter sans Zofia. «J’aime beaucoup votre papa. Quand un homme est fait pour elle, une femme le sait.» L’énergie débrouilla­rde d’Edek, les talents culinaires de Zofia qu’il épouse, l’aide dévouée de son amie Walentina les amènent tous les trois à créer avec succès un restaurant : «Trop les boulettes !» On les mange à la viande, aux tomates, végétarien­nes ou sucrées. Pour les gourmands, des recettes sont en fin d’ouvrage. Un livre à déguster pour son optimisme, l’amour retrouvé à tout âge, le lien père-fille, et la réconcilia­tion entre les peuples. On y rit parfois. On y pleure aussi. Des personnage­s rendus proches par le style fluide de Lily Brett. Jusqu’au bout la vie se dévore, la vie s’invente.

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PHOTO P. LOPPARELLI. TENDANCE FLOUE New York, 2008.

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