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Alliance française

Dans son restaurant parisien le chef d’Osaka formé chez Robuchon, Passard et Legendre propose une version subtile et délicate de nos classiques gastronomi­ques.

- Par JACKY DURAND Photos THOMAS HUMERY

C’est une simple pomme de terre, de variété Allians, mais elle dit tout de Toshitaka Omiya, chef du restaurant Alliance à Paris (1). Quand l’époque culinaromé­diatique glorifie à outrance les «plats signatures» à coups d’ingrédient­s mirifiques, ce cuisinier japonais aussi simple qu’affable joue une partition parmentièr­e tout à la fois épurée et très ouvragée, mais d’une lisibilité terribleme­nt gourmande. Cela tient à la fois du croquis à main levée et de la pièce d’orfèvrerie. Devant l’assiette, c’est l’éternel dilemme : faire d’une bouchée ce lumineux objet du désir ou au contraire l’effeuiller comme un chant d’amour. C’est selon, hein ?

Mais au fait, de quoi s’agit-il? D’une patate donc, confite dans la graisse de canard, alitée sur un crumble d’oignons et d’échalotes, cernée de champignon­s (pleurote, piedbleu) et parée de pimprenell­e et d’achillée millefeuil­le. Jusqu’ici, on est en terrain un brin connu et presque conquis, celui des «bons produits», comme nous disent les marketeux embarqués sur un chemin buissonnie­r qui réjouit les urbains pourvus en artiche. Sauf que Toshitaka Omiya ne revisite pas la patate, il la fait vivre comme Geppetto fabriquant Pinocchio dans un vulgaire morceau de bois. Les plus beaux plats ne se mangent pas d’emblée. Ils se respirent, se hument, ce qui n’est pas la posture la plus confortabl­e au restaurant. Et pourtant la «pomme de terre Allians-échalotes-champignon­s» (dixit la carte) est une bombe olfactive exhalant l’humus, un peu la sauvagine et le parfum rassurant du légume de cambuse. En bouche, c’est un «bonbon» – comme disent les chocolatie­rs – évoquant le végétal et le sous-bois dans un équilibre sans fioriture. Les papilles s’en trouvent à poil et comblées.

Emulsion.

Mais comment en est-on arrivé là? Comment souvent en cuisine, un tel numéro de funambulis­me se décrypte dès le montage du cirque, c’est-à-dire de bon matin quand Thibaud, le second d’Alliance fait couler un café avec une belle amertume dans la salle à manger aux murs beiges, épurée et raffinée, où la cuisine joue l’avant-scène derrière une large baie vitrée.

Thibaud est passé par les fourneaux de Cyril Lignac et la bistronomi­e, où il a été chef avant de pousser la porte d’Alliance. «Je suis descendu de statut pour monter en gamme. Ici, le chef fait une cuisine française avec une rigueur et une finesse japonaise», dit-il. Chaque jour, ce Toulousain tranquille et appliqué répète les mêmes premiers gestes fondateurs de la cuisine de Toshitaka Omiya : concentrer les jus de viandes, de volailles et de poissons pour leur procurer un goût spécifique et très concentré. «J’avais l’ha- bitude de faire des jus, mais pas aussi poussés qu’ici», dit-il. Un jus est une quintessen­ce de goûts où la répétition n’est pas l’ennemi du mieux. Ainsi la carcasse du pigeon va être colorée, mouillée avec un fond de veau puis mijotée à couvert pour rassembler tous les sucs de l’oiseau, sans aucune amertume, et l’accompagne­r après une cuisson à la plancha.

Dans l’autre partie de la cuisine, qui s’étend à l’abri des regards, il y a ces bruits rassurants comme le percolateu­r du matin. Benoît, le pâtissier, fouette des oeufs en ajoutant du lait. Ce Breton a appris la cuisine avant une mention complément­aire «desserts de restaurant». «J’ai carte blanche sur la partie sucrée. Je travaille par rapport à la saison», explique le pâtissier, qui jongle aussi bien avec le sarrasin, la pâte de noisette que le miel et le chocolat grand cru Samana et la sauge avec le foin. On pressent cette liberté de mouvement dès l’arrivée du chef qui dit : «Il faut faire la photo avec mon équipe. Je ne peux rien faire si je suis seul.»

En fait, «Toshi», comme l’appelle son associé Shawn Joyeux, parle peu et urbain, mais voit tout, des nappes qui sont en train d’être repassées en salle aux tréfonds du garde-manger, où il s’empare d’une poignée d’endives de plein champ. «J’ai tenté une purée de racines d’endives, ça sentait la vanille mais c’était hyper amer. J’ai choisi de les blanchir, de les cuire dans un sirop de sucre et de les mixer. Je sers ainsi l’endive avec des Saint-Jacques et une émulsion de café», explique-t-il doucement.

Croquettes.

Il y a chez Toshitaka Omiya une forme de curiosité candide (peut-être aussi à cause de ses taches de rousseur) qui évoque l’enfance. Il est né en 1979 à Osaka, au Japon, dans une famille de fabricants de textile, et sa grand-mère préparait de fabuleuses croquettes de pommes de terre écrasées à la fourchette avec de l’oignon. A 17 ans, il entre dans une école de cuisine où il apprend la gastrono-

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