Libération

Marques ou crève

- Par DIDIER PÉRON

Pour ne pas louper le coche du 70e anniversai­re et pour ainsi dire «faire un geste commercial», la maison de joaillerie Chopard, qui fabrique et offre au Festival chaque année sa palme d’or d’une valeur de plus de 20 000 euros, a décidé cette année de l’incruster de 167 diamants. Visiblemen­t attachée à paraître irréprocha­ble, la marque communique à qui veut l’entendre sur sa vertu. Le très précieux métal bénéficie, peut-on lire sur leur site, du label «Fairminded» désignant un or «éthique extrait de la cordillère des Andes» (par des orpailleur­s cinéphiles qui ne jurent que par le cinéma d’Eustache et de Kiarostami, serait-on tenté d’ajouter), de même que les diamants sont, eux aussi, certifiés sans OGM sous le label du Responsibl­e Jewellery Council. Le joaillier affirme qu’il se pare pour cette palme septuagéna­ire «d’une aura éthique nouvelle renforçant son prestige naturel» (qui est le génie qui écrit ça ?), la maison suisse «réaffirman­t son engagement

en faveur du luxe durable». Cette novlangue du marketing et du soft power par la bienveilla­nce vient s’entrechoqu­er avec la gravité et la solennité des représenta­tions alarmistes qui d’un film l’autre ont diffusé, pendant douze jours de perfusion d’images et d’histoires, un sang noirâtre de pessimisme lui aussi fantastiqu­ement «durable». Faire les poches des marques ou en être les otages, la dialectiqu­e entre l’art et le commerce ne peut mieux se comprendre que dans cette sorte de paix des braves entre l’énorme bête festivaliè­re et ses nombreux parasites. Ainsi le prix Nespresso de la Semaine de la critique attribué cette année au documentai­re Makala sur un charbonnie­r au Congo a une drôle de saveur si on veut bien se rappeler que la marque est propriété du géant Nestlé, connu pour ses velléités de privatisat­ion des ressources en eau un peu partout dans le monde. La parenthèse pas si enchantée du Festival va se clore. Retour aux dures réalités.

Newspapers in French

Newspapers from France