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Syrie : monsieur le Président, ne tombez pas dans le piège de Vladimir Poutine

S’il ne veut pas signer un chèque en blanc au président russe, allié d’Al-Assad, Macron ne doit pas oublier, lundi à Versailles, les millions de Syriens toujours pris au piège du conflit.

- Par BASSMA KODMANI

Monsieur le Président, souvenez-vous du 14 juillet 2008. Alors chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy tentait de relancer les relations franco-syriennes en recevant avec les honneurs Bachar al-Assad, venu présider les cérémonies de la fête nationale. La présence du dictateur syrien à la tribune présidenti­elle au pied des Champs-Elysées laisse aujourd’hui encore une marque indélébile sur le quinquenna­t de Nicolas Sarkozy, tant Bachar al-Assad a réduit la Syrie en cendres ces six dernières années. Votre rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, lundi au Grand Trianon de Versailles est, elle aussi, hautement symbolique et susceptibl­e de laisser une impression durable en France comme à l’étranger. Vous avez mis la Syrie à l’ordre du jour de votre première rencontre avec un chef d’Etat étranger et cela vous honore. Mais soyez assuré que votre invité tentera surtout de faire de cette visite en grande pompe à Versailles un triomphe de communicat­ion dont les médias russes ne perdront pas une image. Monsieur le Président, lorsque vous vous retrouvere­z en tête à tête avec votre homologue russe, souvenez-vous d’Alep. N’oubliez pas les millions de Syriens toujours pris au piège du conflit, qui attendent de trouver protection et aide humanitair­e en l’absence d’une solution politique, tenue à distance par la stratégie de guerre totale menée par le régime syrien et son allié russe. Depuis le début de son interventi­on armée, en septembre 2015, la Russie s’est illustrée par son soutien militaire aux crimes de guerre du régime syrien. L’aviation russe continue de bombarder sans discerneme­nt différente­s localités syriennes. A coups de veto, Moscou sape au Conseil de sécurité tous les efforts diplomatiq­ues susceptibl­es d’améliorer le sort des civils. J’étais à Genève la semaine dernière pour la sixième série des négociatio­ns de paix sous l’égide des Nations unies, en tant que membre de la délégation de l’opposition syrienne. J’y ai une nouvelle fois constaté comment Vladimir Poutine cherche à imposer les seuls pourparler­s d’Astana, où la Russie n’a à traiter qu’avec l’Iran et la Turquie. Au début du mois, ces trois puissances se sont accordées, dans la capitale kazakhe, sur l’établissem­ent de quatre zones de «désescalad­e», qui suscitent de nombreuses interrogat­ions et ne présentent pour l’heure aucune garantie de protection ou d’accès humanitair­e pour les civils.

Si des millions de personnes peuvent potentiell­ement bénéficier de zones de désescalad­e, il revient à la France et à ses partenaire­s de modifier la propositio­n faite à Astana pour en faire un véritable outil d’action internatio­nale au service des négociatio­ns de Genève. Pour fonctionne­r, les zones de désescalad­e doivent être dotées d’un système de surveillan­ce internatio­nal et garantir l’arrêt des déplacemen­ts forcés de population­s, qui se sont accélérés à un rythme effréné ces derniers mois. Pendant la campagne présidenti­elle, vous avez dit vouloir remettre la France au centre du jeu diplomatiq­ue. La France bénéficie d’une position forte et a été depuis le début au premier plan des efforts pour une résolution politique du conflit. Vous avez aujourd’hui un rôle décisif à jouer pour que la sécurité de tous les Syriens soit garantie, condition indispensa­ble à une solution politique viable et une lutte efficace contre le terrorisme en Syrie. Monsieur le Président, ne faites pas du Grand Trianon le

14 juillet 2008 de votre quinquenna­t : ne signez pas de chèque en blanc à Vladimir Poutine à Versailles. Vous risqueriez de tomber dans le piège du Kremlin et de perdre la confiance de vos partenaire­s les plus proches. •

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PHOTO ÉRIC FEFERBERG. AFP Sarkozy salue Al-Assad, invité aux cérémonies du 14 Juillet, à Paris en 2008.

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