Dans l’Eure, Bruno Le Maire en pleine recomposition
Le ministre de l’Economie, issu de LR, est crédité de 48% d’intentions de vote aux législatives dans la première circonscription de ce département qui avait placé Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle.
Sur le marché de Verneuil-sur-Avre, Bruno Le Maire n’entend pas que des mots aimables. Entre deux encouragements, il doit faire face, ce samedi, à quelques mécontents qui lui reprochent, parfois sans ménagement, d’avoir «retourné sa veste». Candidat pour la troisième fois dans l’Eure, le ministre de l’Économie fait face avec gourmandise. Il veut s’expliquer. Convaincre ses électeurs que le pays vit «un moment historique» et même «exaltant». Il en a pris acte, lui, en rejoignant Emmanuel Macron. «Je comprends vos questions. Elles sont légitimes en période de recomposition. Mais je vous l’assure, ce sont mes convictions que je vais mettre en oeuvre au gouvernement», expliquet-il à un sceptique.
Gaufres. D’autres se contentent de râler de loin, comme ce retraité parisien, électeur frustré de Fillon, qui laisse parler ses fantasmes : «Le Maire ? C’est un francmaçon.» Le marchand de gaufres est plus bienveillant: «Bravo pour votre courage ! Le clivage gauche-droite ça suffit ! Il faut faire le pari du bon sens», lance-t-il au passage du ministre. Le Maire voudrait faire de cette élection dans la première circonscription de l’Eure un referendum pour ou contre cette «recomposition» annoncée par le nouveau chef de l’Etat. Il a reçu dimanche le soutien du Premier ministre Edouard Philippe, comme lui ex-député LR, en campagne pour donner à La République en marche la majorité dans la future Assemblée nationale. A en croire le sondage Ifop publié par le Journal du dimanche, Le Maire serait en passe de réussir son pari. A 48% dès le premier tour, il devancerait largement ses concurrents du Front national (20%) et de la France insoumise (16%).
Quant à Coumba Dioukhané, la candidate investie à la dernière minute par LR, elle n’est créditée que de 7 % des intentions de vote. Comme s’ils n’y croyaient pas euxmêmes, les dirigeants de LR se contentent d’encourager de loin, depuis Paris, cette sarkozyste convaincue, adjointe au maire d’Evreux, à qui ils ont confié le soin de faire tomber le député sortant. Ni François Baroin ni Christian Jacob, pourtant très remontés contre Le Maire, n’ont prévu de se déplacer. Il est vrai que le député sortant peut compter, dans son département, sur la bienveillance de nombreux élus LR. Dans cette zone rurale qui a placé Marine Le Pen largement en tête, avec près de 30 % des suffrages, au premier tour de l’élection présidentielle, près de 10 points devant Macron et Fillon, la partie est a priori loin d’être gagnée pour le transfuge de la droite.
«Cohérence». Alors que sa «trahison» était très durement critiquée par l’état-major de son ancien parti, Le Maire confie que beaucoup de ses amis lui déconseillaient de se porter candidat à cette élection législative à haut risque. Comme tous les ministres candidats, Le Maire devra quitter le gouvernement s’il est battu. «Mes amis me disaient de ne pas y aller», confie-t-il. Il a choisi, au contraire, de faire de cette prise de «risque», témoignage de son «courage», son principal argument de campagne. «Je mets mon sort entre vos mains. C’est vous qui allez décider si je reste au gouvernement», explique-t-il à une vingtaine d’électeurs réunis dans la minuscule mairie des Barils, village de 250 habitants. Il revendique son choix d’avoir quitté Fillon «au nom du respect de la parole donnée», quand ce dernier a annoncé sa prochaine mise en examen. Un villageois veut savoir comment il peut porter aujourd’hui un projet «quand même très différent» de celui qu’il a défendu dans la primaire. Le ministre candidat s’explique sur la CSG, que le gouvernement va augmenter et que lui proposait de baisser. «La CSG, ce n’est qu’un instrument au service d’une politique qui vise à réduire les déficits et à augmenter le salaire net. Cet objectif, c’est aussi le mien.» Pour le reste, il estime n’avoir pas de «leçon de cohérence à recevoir». «Il faut être aveugle pour ne pas comprendre ce qui se joue dans notre pays. A-t-on déjà oublié le score des extrêmes à la présidentielle ? Les Français veulent qu’on se rassemble pour obtenir des résultats», insiste-t-il à Verneuil, devant plusieurs élus A l’image de la sénatrice LR Nicole Durantin, ils soutiennent «Bruno» sans état d’âme : «Il a raison. Nous devons penser à notre pays. On ne peut pas perdre encore 5 ans.» Selon la sénatrice, les maires ont compris «la chance extraordinaire» que représente la promotion, à Matignon et à Bercy, de deux poids lourds de la droite normande.
Elle tient toutefois à préciser que sa «fidélité» envers Bruno Le Maire ne l’empêchera pas de soutenir «loyalement», dans le reste du département, les candidats LR. Au temps de la recomposition, la loyauté est à géométrie variable. •