Libération

Celui qui voyait le football d’un oeil soupçonneu­x a été conquis par la passion du public marseillai­s. Le converti tombé amoureux d’un élan populaire

- R.La.

Jean-Luc Mélenchon a prévenu : il ne sera pas joignable mercredi soir. Accompagné de copains insoumis, il sera dans son QG, près de la gare du Nord, devant le petit écran pour mater la finale de la Ligue Europa. Il aurait aimé être à Lyon, dans les tribunes. Mais il n’a pas réussi à avoir des places. Un petit échec qui ne retire rien à son excitation : il vit à fond l’épopée européenne de l’OM. Une conversion qui laisse sans voix plusieurs de ses proches et compagnons de route : l’ancien candidat à la présidenti­elle avait jusque-là toujours mis le ballon rond à distance. Sauf que la donne a changé depuis un an.

Promesse. Il y a peu, les mots étaient durs. Les footballeu­rs? Des «antihéros du sport, gorgés d’argent, planqués du fisc, blindés d’ingratitud­e». Le football ? Rien d’autre que «l’opium du peuple». Les supporteur­s? «Choqué» de voir des pauvres applaudir des millionnai­res. Il n’a jamais mesuré la dimension sociale et universell­e qui règne autour d’un terrain. Mais les temps changent. Elle paraît loin l’époque – au tout début des années 90 – où l’élu municipal de Massy (Essonne) s’opposait ouvertemen­t au projet de grand stade que la ville voulait obtenir pour la Coupe du monde 98. Récemment, après quelques mois dans sa nouvelle ville, Marseille, il est tombé dans la marmite. L’été dernier, à peine élu, toute la ville lui cause de l’OM. Le député écoute, observe et promet de mettre un pied au stade un soir de match. Mélenchon ne s’est pas pressé pour tenir sa promesse. En janvier, il a fait un premier pas en douceur. Le tribun s’est rendu au Mucem pour l’exposition Nous

sommes foot. L’un des deux commissair­es, Gilles Perez, l’accueille. Le reporter-documentar­iste connaît le désamour de l’insoumis pour le football. Au fil de la visite guidée, il lui conte une histoire qui le touche : les joueurs qui ont joué un rôle politique dans leur pays, les chants des supporteur­s à travers le globe pour s’opposer au fric qui coule à flots dans les instances, les liesses populaires. Gilles Perez se marre : «Il a plusieurs fois été surpris, il regardait, il écoutait sans rien dire.» Il raconte une autre scène. Le moment ou le député «bloque» devant une banderole des supporteur­s de l’OM : «On craint dégun» («on ne craint personne») était inscrit en gros. «Cette banderole, c’était tout le côté bravache de Marseille, toute la fierté que le foot apporte à une ville qui se sent négligée par les puissants. Le foot permet de planter le drapeau de Marseille. Et il a compris tout ça…»

Ferveur. Jean-Luc Mélenchon a choisi son moment pour tenir sa promesse : fin avril, lors de la demi-finale de coupe d’Europe face aux Autrichien­s de Salzbourg. Ce soir-là, la ville est électrique. Une ambiance dingue. Le bleu se presse à l’ouverture des portes. Il ne veut rien rater. Les couleurs, les chants, la ferveur populaire. Toutes ces choses qu’on lui conte depuis des mois. Antoine Léaument, l’un de ses protégés, l’accompagne. Il se souvient : «Le peuple, les mouvements de masse… il était davantage concentré sur les tribunes que sur le terrain. Il a pu percevoir l’émotion et le lien entre le foot et la ville.» Léaument poursuit : «Est-ce qu’il va suivre tous les scores de l’OM ? Est-ce qu’il ira souvent au stade ? Personne ne le sait, même pas lui. Mais ce qui est certain, c’est que son regard sur le foot, et l’OM plus particuliè­rement, a changé.» Dorénavant, il devra faire un autre effort : comprendre toutes les subtilités du football. Un petit exemple ? Lorsqu’un joueur glisse pour en arrêter un autre, ce n’est pas un «crochepatt­e», comme aime le dire Mélenchon, mais un tacle.

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