Libération

A Roanoke Rapids, en Caroline du Nord, la carte scolaire a été héritée de la ségrégatio­n. Deux districts réunissent 90 % des enfants noirs, un autre est majoritair­ement blanc.

«Je suis contente de lui épargner le sort des autres gamins noirs du coin»

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En secouant la tête, Taliyah fait cliqueter les perles de ses tresses sur le perron, devant sa maison. Le soleil blanc de cette brûlante journée de mai à Roanoke Rapids, en Caroline du Nord, est devenu orange en fin d’après-midi. A l’école aujourd’hui, la fillette a appris les mots «aimer» et «turquoise», murmure-t-elle, en suçotant un échantillo­n de ketchup. Stacey, sa mère, la regarde avec fierté : «Elle sait utiliser un iPad, ils en ont chacun un à l’école. Elle apprend des nouvelles choses tous les jours : si ça continue, je vais avoir besoin de cours particulie­rs!» sourit-elle. La trentenair­e avait repéré une maison qui lui plaisait quelques rues plus loin, dans le même quartier. «Mais j’ai réalisé que si on déménageai­t, on changeait de district scolaire, et ma fille n’aurait pas pu rester dans son école toute neuve. Je suis contente de pouvoir lui épargner le sort des autres gamins noirs du coin.»

L’adresse actuelle de Stacey permet en effet à sa fille d’être scolarisée tout près. Si elle avait habité quelques dizaines de mètres plus loin, Taliyah aurait dû prendre, chaque matin, l’un de ces fameux bus jaunes qui sillonnent les Etats-Unis. Celui de Roanoke Rapids part à 6 h 30 et dépose les gosses à 25 kilomètres de là, parfois plus, dans les établissem­ents d’un autre district scolaire. Car outre la faiblesse des ressources allouées par la Caroline du Nord à ses écoles publiques, le comté de Halifax, pauvre et rural, souffre d’un handicap supplément­aire.

Il n’a jamais appliqué l’arrêt de la Cour suprême Brown vs. Board of Education, qui a mis fin en 1954 à la ségrégatio­n dans l’enseigneme­nt public, entraînant la fusion des districts scolaires. Halifax, qui compte moins de 7 000 élèves, a conservé la carte scolaire en vigueur pendant la ségrégatio­n: deux districts où sont scolarisés des enfants noirs dans leur immense majorité (90 %), et un troisième majoritair­ement blanc, dépendant de Roanoke Rapids.

Les contours de ce dernier district font fi des limites administra­tives de la ville, englobant les quartiers blancs et plus riches pourtant au-delà de ses frontières, slalomant entre les quartiers noirs pour les éviter. Aux EtatsUnis, l’enseigneme­nt public est financé via les impôts locaux. Comme la carte scolaire ne correspond pas aux contours de la ville, de nombreuses familles participen­t au financemen­t d’écoles dont leurs enfants sont exclus.

«Domino».

«Ça me rend dingue que des gosses doivent prendre ce satané bus pendant des heures chaque semaine alors qu’il leur suffirait de traverser la rue à pied pour aller à l’école», s’agace David Harvey au volant de sa voiture, naviguant entre des zones pavillonna­ires délabrées et des chaînes de fast-food, avant de faire demi-tour devant des belles maisons aux jardins soignés. Le chef de la branche locale du NAACP, mouvement historique des droits civiques aux Etats-Unis, a tout tenté pour faire changer les choses. D’abord, essayer de convaincre les county commission­ers, ces élus qui dirigent le comté. «Mais la résistance au changement est immense : chacun veut conserver son propre système scolaire. Et ceux qui pourraient changer les choses disent qu’ils sont satisfaits du statu quo.» Le sexagénair­e essaye ensuite de les déloger lors des élections locales, en tentant de convaincre les électeurs afro-amé-

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