Jeunesse albanaise
Privée
dit-il, attablé dans un café du Block, quartier branché de la capitale, Tirana, autrefois réservé à l’élite du régime communiste. Après six ans passés en France à enchaîner stages et petits boulots, le jeune homme a été renvoyé en Albanie en juillet. A 23 ans, il ne croit plus au changement. péré obtenir l’asile au sein de l’Union européenne. En France, ils formaient le plus important contingent de demandeurs d’asile en 2017, devant les ressortissants de pays en guerre tels les Syriens ou les Afghans. Le taux d’acceptation des Albanais n’a pourtant pas dépassé 6 % l’an dernier. «Ma demande a été rejetée. Tout comme celle de ma mère et de ma soeur qui veulent fuir les violences de mon père. Au total, j’ai reçu six obligations de quitter le territoire français, une pour chaque année», ironise Valentino.
«Miel».
L’Albanie, qui n’est pas en guerre, est en effet considérée comme un «pays sûr». Ces derniers mois, les dirigeants allemands, néerlandais ou français ont fait pression sur Tirana afin de réduire le flux de l’immigration irrégulière. Après la venue de Gérard Collomb en Albanie en décembre, le secrétaire d’Etat belge à l’Asile et à la Migration, Theo Francken, est allé jusqu’à affirmer mi-avril, devant des autorités albanaises visiblement mal à l’aise, que «la Belgique n’est pas l’Eldorado, elle n’est pas le pays où ruisselle le lait et le miel». Et mardi, le Premier ministre albanais, Edi Rama, a été reçu par Emmanuel Macron à l’Elysée. Soucieux de convaincre les Etats membres de l’UE de démarrer les négociations d’adhésion, le gouvernement albanais a fini par prendre des mesures peu populaires. «Nous avons renforcé la responsabilité administrative et pénale des parents qui voyagent avec leurs enfants, explique le ministre de l’Intérieur albanais, Fatmir Xhafaj. Notamment dans les cas où les mineurs ne rentrent pas au pays.» Cinquante procédures pénales ont ainsi été lancées contre des parents ou des associations reconnus coupables de favoriser l’émigration illégale, tandis que trois agences de voyages ont été fermées. Aux frontières, il faut désormais pouvoir présenter des documents notariés, comme avant la fin des visas bosniens et albanais dans l’espace Schengen, fin 2010. Un désenchantement certain pour la société albanaise, l’une des plus europhiles du continent. Surtout qu’à ces contrôles stricts succèdent parfois de lourdes interdictions de quitter le territoire. «J’ai essayé de repartir, mais j’ai trois ans d’interdiction de sortie», raconte Valentino.
Scandales.
Mais si les portes de l’Albanie se ferment, les raisons de partir sont toujours là. L’alternance politique qu’a connue le pays en 2013 n’a pas répondu aux espoirs de changement de la jeunesse, qui ne croit plus en une classe politique régulièrement secouée par les scandales. «Au lieu de réclamer des mesures contre l’émigration, les dirigeants européens devraient se demander pourquoi, vingt-sept années après la chute du communisme, les Albanais continuent de fuir le pays dans une telle ampleur», affirme Fatos Lubonja, intellectuel et écrivain albanais. Malgré une croissance soutenue, un tiers de la population vit en effet sous le seuil de pauvreté, selon les dernières données de la Banque mondiale. Lubonja esquisse alors un parallèle entre l’Albanie d’aujourd’hui et la «prison à ciel ouvert» du dictateur Enver Hoxha, qui a dirigé d’une main de fer le pays entre 1944 et 1985.
«La comparaison est exagérée si l’on se réfère aux instruments d’oppression et d’exploitation de ce temps, mais le sentiment de manque de dignité et de ne pas être le maître de notre destin est probablement aussi fort parmi les gens actuellement», précise Fatos Lubonja. Et c’est peutêtre pour cela que le gouvernement semble avoir du mal à retenir ses jeunes. Pour environ 3 000 euros, malgré les interdictions de séjour notifiées en France ou ailleurs, ils n’hésitent pas à se cacher dans les poids lourds qui partent pour l’Italie. «Tous mes amis qui ont été renvoyés ici, comme moi, sont déjà repartis», assure Valentino. Et entre deux boulots, lui-même se demande s’il ne va pas, bientôt, retenter sa chance. •
Malgré une croissance soutenue, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté.