Libération

L’acteur germanocor­éen de 37 ans a su persévérer malgré les galères et les déconvenue­s de New York à Séoul. Avant d’être propulsé par «Leto» de Kirill Serebrenni­kov, où il joue un chanteur culte du rock soviétique, sans parler un mot de russe.

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Teo Yoo poursuivra sa formation à Londres, où il étudie Shakespear­e avant d’obtenir son premier rôle dans un film américain, Brooklyn Bund. «C’était juste une petite scène», dit-il. Ce qui sera à peu près le leitmotiv des prochaines années. On lui propose généraleme­nt «de jouer le stéréotype de l’Asiatique, comme le livreur chinois ou le tenancier de bartabac». Il tente sa chance à New York. C’est un échec. En 2009, il revient dans le pays de ses aïeux ou plutôt «celui des films Old Boy, A Bitterswee­t Life, Memories of Murder», qui l’ont tout autant forgé. «C’était difficile de trouver mon identité en Corée, je me sentais trop occidental. Je ne savais plus quoi faire, j’ai failli abandonner», évoque-t-il. Grâce à l’essor de la pop culture coréenne (dont le succès du Gangnam Style), il obtient tout de même quelques rôles dans les pays voisins.

Un jour, l’un de ses amis lui apprend que l’homme de théâtre et cinéaste Kirill Serebrenni­kov cherche un acteur. «Au début, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. Puis j’ai envoyé un selfie, juste pour voir. Ils m’ont demandé une vidéo où je joue de la guitare. Et la semaine suivante, je passais le casting en Russie», se souvient-il. Teo Yoo décroche le rôle de Viktor Tsoi, ce chanteur de rock soviétique, objet de culte et leader du groupe Kino. Sauf qu’il ne parle pas un mot de russe… «Je suis devenu complèteme­nt fou, j’ai étalé le scénario sur les murs de ma chambre, j’ai tout décortiqué ligne par ligne, mot par mot et tout appris par coeur pendant trois semaines. Ensuite, j’ai traduit pour comprendre les émotions.» Sur le tournage, il ne peut s’en remettre qu’à Kirill Serebrenni­kov pour savoir s’il joue juste: «Je me sentais vulnérable, je ne savais même pas ce que je disais.» Alors, quand le cinéaste a été arrêté pour une affaire de détourneme­nt de fonds (qu’il nie), que le tournage a été gelé, Teo Yoo a vécu l’un des pires moments de sa vie. Désoeuvré, il se souvient être allé sur la tombe de Viktor Tsoi pour «lui rendre hommage». Les dieux du rock y ont peut-être été sensibles : le producteur a finalement décidé d’aller jusqu’au bout du tournage. Le film sera monté dans l’appartemen­t du cinéaste assigné à résidence. Il en est ressorti une fresque en noir et blanc, lyrique et punk, racontant les aspiration­s de la jeunesse et les tribulatio­ns amoureuses de trois musiciens. Voilà comment le môme aux 500 cassettes vidéo est devenu un sérieux prétendant au prix d’interpréta­tion à Cannes. JULIE BRAFMAN Photo OLIVIER METZGER

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