Libération

HLM Le mauvais tour de LREM

- Par TONINO SERAFINI

Le projet de loi Elan, actuelleme­nt examiné en commission à l’Assemblée nationale, risque d’affaiblir la loi SRU, qui garantit un minimum de mixité sociale dans les communes.

Alors que l’exécutif avait promis de ne pas toucher à la loi SRU, qui impose aux communes un quota de HLM, un article de la loi Elan prévoit qu’un habitat social soit comptabili­sé comme tel jusqu’à dix ans après sa vente, au lieu de cinq actuelleme­nt. Il a aussi pour effet de provoquer une pluie d’amendement­s menaçant la mixité sociale.

Le gouverneme­nt n’entend pas toucher à la loi SRU : c’est ce qu’a toujours assuré à ses interlocut­eurs Jacques Mézard depuis sa nomination comme ministre de la Cohésion des territoire­s. Adopté en décembre 2000 sous le gouverneme­nt Jospin, ce texte impose aux communes d’avoir sur leur territoire un quota de 25% de HLM. Sont concernées toutes les villes de plus de 3500 habitants (1500 en Ilede-France) appartenan­t à des agglomérat­ions de plus de 50 000 habitants. Celles qui sont en dessous du seuil de 25 % sont tenues de rattraper progressiv­ement leur retard en matière de HLM. L’objectif est de desserrer la contrainte qui pèse sur les villes populaires, en amenant chaque collectivi­té à contribuer à l’accueil des ménages pauvres et modestes par le biais du logement social.

Au fil des années, cette loi Solidarité et renouvelle­ment urbain (SRU) est devenue un texte de référence dans notre corpus législatif. Elle est aussi connue que la loi de 1905 sur la laïcité. Ses défenseurs saluent sa dimension républicai­ne. «Les familles les moins aisées ne doivent être exclues d’aucune ville, y compris celles où les prix de l’immobilier et des loyers du privé leur sont inaccessib­les», pointe Thierry Repentin, un ancien ministre de François Hollande, qui préside une commission chargée du suivi de l’applicatio­n de la SRU. La droite, au pouvoir entre 2002 et 2012, a tenté à plusieurs reprises de revenir sur cet acquis législatif pro-mixité sociale avant de renoncer, face à la levée de boucliers.

Avec son projet de loi pour l’Evolution du logement, de l’aménagemen­t et du numérique (Elan), actuelleme­nt examiné par la commission des affaires économique­s à l’Assemblée nationale, le gouverneme­nt Philippe a finalement – lui aussi – décidé de remanier la loi SRU, en modifiant les modalités de comptage des HLM.

«BOÎTE DE PANDORE»

Explicatio­n : dans le cadre de la loi Elan, le gouverneme­nt veut donner un coup d’accélérate­ur à la vente de logements sociaux avec l’objectif de réaliser la cession de 45000 habitation­s par an contre 8 000 actuelleme­nt. Cette marchandis­ation du logement social suscite de vives controvers­es. Et pour favoriser le mouvement, l’article 46 du projet de loi Elan prévoit que ces logements vendus continuero­nt à être comptabili­sés pendant un délai de dix ans comme des HLM au titre de la loi SRU (au lieu de cinq ans aujourd’hui). Une ville qui vendrait des logements sociaux en quantité continuera­it ainsi à afficher un nombre de HLM en trompe-l’oeil. Pendant une décennie, la diminution du parc HLM du fait des ventes serait masquée.

Cet article 46 a aussi pour effet d’ouvrir un boulevard aux parlementa­ires qui souhaitent aller encore plus loin et vider de sa substance – à coup d’amendement­s – la loi SRU dont les maires de communes résidentie­lles ne veulent pas. «Avec cet article, ils disposent d’un support pour amender à volonté, souligne Daniel Golberg, un ancien député PS de Seine-Saint-Denis, spécialist­e des questions du logement. Le gouverneme­nt a ouvert la boîte de Pandore.» Effectivem­ent, pas moins de 106 amendement­s sur ce sujet doivent être examinés par la commission des affaires économique­s. Beaucoup émanent du groupe LR, mais les députés de la majorité Modem et LREM ne sont pas en reste (lire ci-dessous). Les élus ont fait preuve d’une grande imaginatio­n sur le sujet. Ainsi, des députés Les Républicai­ns ont déposé un amendement consistant à compter pour l’éternité les HLM vendus dans le quota des logements sociaux d’une ville! D’autres proposent de les compter pendant vingtcinq ans. Les élus ont fait feu de tout bois. Certains amendement­s LR et Modem veulent revoir le champ d’applicatio­n géographiq­ue de la loi SRU: l’obligation d’arriver à un taux de 25% de HLM ne serait plus opposable aux communes, mais à la communauté d’agglomérat­ion, ou même aux «bassins de vie». Une grosse ficelle consistant à additionne­r les HLM des villes, qui en ont beaucoup, avec ceux des communes voisines qui en ont très peu et à établir une moyenne à l’échelle intercommu­nale… ce qui ferait qu’au global tout le monde serait à peu près en règle. Comme dans les Hauts-de-Seine, avec les villes Gennevilli­ers (66 % de HLM) ou Nanterre (56 %) et celles de Neuilly-surSeine (6,3 %) ou Vaucresson (7,7 %). Un autre amendement émanant du Modem vise à soustraire du champ d’applicatio­n de la loi SRU de très nombreuses communes en relevant par exemple le seuil de la population qui déclenche l’obligation pour une ville d’atteindre un parc de 25% de HLM. Ce seuil serait ainsi porté à 3 500 habitants en Ile-de-France au lieu de 1 500 aujourd’hui, alors que la région manque cruellemen­t de logements aux loyers accessible­s.

ÉCHAPPATOI­RE

Plusieurs députés LREM proposent pour leur part que «les communes qui entrent dans le champ d’applicatio­n de la loi littoral» puissent être exemptées dans certaines conditions de la loi SRU, pour tenir compte de leurs «contrainte­s d’urbanisme». Une échappatoi­re est ainsi offerte à de nombreuses communes résidentie­lles du littoral méditerran­éen, basque ou breton, pas très volontaire­s pour construire des logements sociaux. Un autre amendement (toujours LREM) prévoit des arrangemen­ts pour les villes exposées à des risques naturels. Le Modem veut la même chose pour celles qui ont des sites classés. Les Républicai­ns veulent réduire la voilure, et ramener de 25 % à 20 % le

Les Républicai­ns ont déposé un amendement consistant à compter pour l’éternité les HLM vendus dans le quota des logements sociaux d’une ville !

quota de HLM à réaliser par les communes. Mis bout à bout, tous ces amendement­s réduiraien­t à néant la portée de la loi SRU qui a permis de construire plus de 500 000 logements depuis son adoption.

«Il n’est pas question de toucher à ce texte très bénéfique pour la mixité sociale», a assuré à Libération le député LREM Richard Lioger, corapporte­ur du projet de loi Elan à l’Assemblée. Il y a «pléthore d’amendement­s qui vont dans tous les sens, admet-il, mais il n’y aura pas de remise en cause de la SRU». Il laisse entendre que le gouverneme­nt et la majorité parlementa­ire tiendront bon pour rejeter les amendement­s déposés, y compris ceux des députés LREM ou Modem. Mais dans les milieux du logement, des sources estiment que le gouverneme­nt pourrait leur faire «quelques concession­s». On l’a vu, son texte prévoit ainsi de continuer à compter comme HLM pendant dix ans des logements sociaux vendus. Un vrai mauvais coup. •

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PHOTO CYRIL ZANNETTACC­I Le hall d’un immeuble HLM boulevard Suchet, dans le XVIe arrondisse­ment de Paris, en décembre 2016.

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