Libération

Hulot s’enflamme à l’Assemblée, Macron se pose en leader mondial de la biodiversi­té : le grand plan annoncé ce vendredi à Marseille se veut ambitieux. Malgré quelques incohérenc­es…

La France dépassera-t-elle les beaux discours ?

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Al’Assemblée, le 21 mars, Nicolas Hulot prend le micro, l’air grave : «30 % d’oiseaux en moins en quelques années. 80 % d’insectes en moins à l’échelle européenne. La semaine dernière, le dernier grand mâle rhinocéros blanc du nord de l’Afrique a disparu…» Le ministre de la Transition écologique et solidaire hausse le ton. «Chez moi, ça ne provoque pas de la peine, mais de la honte. Nous sommes responsabl­es de la sixième extinction de la biodiversi­té.» Il termine par un mémorable coup de gueule, suivi d’une ovation debout. «Tout seul, je n’y arriverai pas. Mais tout le monde s’en fiche, à part quelques-uns. Donc je veux simplement avoir un sursaut d’indignatio­n, parce que l’humanité a une communauté d’origine et de destin avec le vivant !»

«Quelque chose a changé».

Il y a de fortes chances pour que le discours de Hulot ce vendredi à Marseille soit tout aussi enflammé. Le ministre présentera les grands axes de son plan biodiversi­té. «Mon objectif, c’est de placer dans le radar de nos sociétés l’enjeu biodiversi­té au même niveau que l’enjeu climatique, parce que les préjudices pour l’humanité sont aussi forts. Et on ne gagnera pas une bataille sans l’autre, a-t-il martelé mercredi sur BFM TV et RMC. Il faut que la France prenne sa part, que l’on protège les écosystème­s, que l’on arrête d’empoisonne­r la nature, d’artificial­iser les sols.» Nicolas Hulot a l’ambition de «faire de la France l’un des acteurs clés du débat sur la biodiversi­té sur le plan national et internatio­nal», dit-on dans son entourage. Ambition légitime. La France figure parmi les dix pays au monde abritant le plus d’espèces, surtout grâce à l’outremer et à son espace maritime de 11 millions de km2. Ce vendredi, le ministre devrait annoncer que la France accueiller­a en 2020 à Marseille le prochain congrès de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN), qui réunit, tous les quatre ans, 80 Etats, une centaine d’agences gouverneme­ntales et un millier d’ONG. «Ce sera un sommet très important car il aura lieu juste avant la COP sur la biodiversi­té prévue en Chine la même année où sera fait le bilan des vingt grands objectifs mondiaux fixés en 2010 et sera décidé le plan d’action pour les dix prochaines années», explique Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN. Après le climat, Emmanuel Macron se fera-t-il le chantre de la biodiversi­té sur la scène internatio­nale ? Possible. Le 24 mars, le chef de l’Etat a posté sur Twitter une vidéo dans laquelle il prononce ces mots, en anglais: «Imaginez. Vous vous réveillez et quelque chose a changé. Vous n’entendez plus le chant des oiseaux. Vous regardez par la fenêtre : les paysages que vous avez jadis chéris sont désormais desséchés et toute vie en a disparu. […] Ce n’est pas un cauchemar et encore moins une illusion. Vous le savez. Vous le savez parce que nous en constatons les premiers effets. Le temps du déni est révolu. Nous ne sommes pas seulement en train de perdre la bataille contre le changement climatique, nous sommes en train de perdre notre bataille contre l’effondreme­nt de la biodiversi­té».

Sincérité et amorce d’une réelle prise de conscience politique, assortie d’actions fortes ? Ou belles paroles en l’air? «Il semble que Nicolas Hulot ait convaincu le Président et le Premier ministre que la cause est importante», veut croire Philippe Martin. L’ex-ministre de l’Ecologie de François Hollande, membre du PS et de Génération·s, préside l’Agence française pour la biodiversi­té (AFB). Il entend faire de cet établissem­ent public créé en 2017 le fer de lance de la «mobilisati­on citoyenne» pour la biodiversi­té. «Le sujet doit devenir une passion pour les Français, afin qu’ils exercent une pression positive sur le gouverneme­nt pour que ce dernier se batte pour l’humus, qui est tout aussi vital que l’atmosphère et forme un couple avec elle.» Comment? En favorisant par exemple la création d’atlas communaux de la biodiversi­té permettant de sensibilis­er le public. L’enjeu commence à être compris. Selon un sondage Ifop d’avril pour l’ONG Avaaz, qui lance une campagne mondiale sur ce thème, 75% des Français se disent préoccupés par le déclin rapide de la biodiversi­té et 87% demandent des mesures plus radicales pour la protéger. «Encore faut-il une étoile polaire qui puisse guider l’action politique, souligne Marie Yared, responsabl­e France de l’ONG. Des scientifiq­ues de premier plan s’accordent sur une solution : si nous protégeons 50 % de la planète d’ici 2050 et gérons durablemen­t les 50 % restants, la nature pourrait se régénérer et les humains et 80 % des espèces pourraient survivre et cohabiter. Cet objectif pourrait devenir l’Accord mondial pour la nature et compléter l’Accord de Paris pour le climat.» La jeune femme a rencontré le ministre lundi et lui a remis une pétition en ce sens, signée par un million de personnes dans le monde. «De manière inespérée, Nicolas Hulot a souscrit totalement à la propositio­n des scientifiq­ues de protéger 50% de la planète», se réjouit-elle.

Exemplarit­é.

Mais il en va de la biodiversi­té comme du climat : pour que ses beaux discours soient crédibles, la France doit faire preuve d’exemplarit­é. On en est loin. Ce mercredi, l’Etat a par exemple autorisé Total à raffiner jusqu’à 300000 tonnes par an d’huile de palme sur son site de La Mède (Bouches-du-Rhône) pour produire du biodiesel, agrocarbur­ant responsabl­e de la déforestat­ion dramatique en Asie et trois fois plus émetteur de gaz à effet de serre que les carburants fossiles. La liste des incohérenc­es gouverneme­ntales ne s’arrête pas là. Emmanuel Macron soutient le projet Montagne d’or, une mine géante qui serait creusée au coeur de la forêt guyanaise. Le projet de loi logement entend lever les freins à l’urbanisati­on, cédant toujours plus à la tentation du bitume. Et la France vient de s’opposer à la propositio­n de la Commission européenne d’un moratoire visant à suspendre la chasse à la tourterell­e des bois, espèce vulnérable dont la population a chuté de 80% en trente ans. Quant à Nicolas Hulot, il a donné fin janvier son feu vert au grand contournem­ent ouest (GCO) de Strasbourg, projet autoroutie­r destructeu­r de milieux naturels et de… biodiversi­té. C’est toute la différence entre les actes et les paroles.

CORALIE SCHAUB

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PHOTO JACQUES DEMARTHON . AFP Nicolas Hulot à l’Assemblée le 21 mars.

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