Libération

«Xeroderma pigmentosu­m», cette maladie génétique rare qui interdit de s’exposer au soleil, touche environ 400 Marocains. Faute de moyens, les malades vivent le plus souvent reclus chez eux, sans avenir.

Au Maroc : «La solution n’est pas de nous enfermer»

- Par THÉA OLLIVIER Correspond­ance au Maroc

Les sourcils froncés plissant sa peau tachetée abîmée par le soleil, Fatima, 34 ans, prend la parole devant une centaine d’étudiants de la faculté d’Agadir, station balnéaire dans le sud du Maroc. «Nous, les enfants de la Lune, nous ne pouvons pas sortir la journée et devons nous cloîtrer pour ne pas avoir de tumeurs cancéreuse­s, provoquées par le soleil», lance sans hésiter la jeune femme, malgré les forts rayons qui transperce­nt les rideaux. Accompagné­e de trois enfants malades, la présidente adjointe de l’associatio­n Ennour enfants de la Lune est venue sensibilis­er les jeunes à la maladie Xeroderma pigmentosu­m, qui touche «au moins une centaine de familles dans la région». «Nous avons 43 dossiers. Mais dans les villages, beaucoup ne savent pas qu’ils sont malades», s’inquiète Fatima en réajustant son voile rose à fleurs de ses mains gantées pour se protéger du soleil. Au Maroc, les cas sont estimés à 400 par les associatio­ns. En France, cette maladie génétique rare ne touche que 70 à 80 personnes.

«Fièvre».

«Dans les pays nord-africains, la fréquence de cette maladie est dix fois plus élevée qu’en Europe, atteignant un ratio de 1 pour 100 000, à cause de siècles de mariages consanguin­s qui existent encore dans les structures tribales ou les grandes familles», affirme Abdelhamid Barakat, professeur au service génétique de l’Institut Pasteur du Maroc, qui ne peut pas donner de chiffres exacts faute de centres de diagnostic. Fatima a décidé de «vivre normalemen­t» et de se battre pour «les enfants qui ont moins de chance» qu’elle. Habitants d’un petit village dans la campagne entre Agadir et Taroudant, ses parents découvrent sa maladie lorsqu’elle a 9 mois. «J’avais de la fièvre, les yeux rouges, les cheveux qui tombaient et des taches sur la peau, décrit Fatima, qui a continué à aller à l’école publique malgré les avertissem­ents de son dermatolog­ue. Même en portant des lunettes, le soleil s’est attaqué à mes yeux et je ne voyais pas le tableau», se souvient-elle. Soutenue par ses parents, l’aînée de la fratrie prend ses bagages pour le lycée public de malvoyants et nonvoyants à Témara, près de Rabat. Son baccalauré­at en poche à 22 ans, elle étudie le droit dans la capitale jusqu’à devenir la première et la seule enfant de la Lune au Maroc à obtenir une licence, en 2010. «Hospitalis­ée pendant trois mois à cause d’un mélanome à la jambe pendant les examens, j’ai décroché mon diplôme avec mention», raconte-t-elle fièrement, en montrant son mollet rongé par l’opération. Désormais, Fatima travaille à Agadir dans un bureau de l’entraide sociale au ministère de la Famille, en plus de son engagement dans l’associatio­n. Un parcours qui motive Younes, 21 ans et sur le point de passer son baccalauré­at. «Je rêve d’étudier la médecine», sourit-t-il de ses lèvres usées par le soleil. Lui refuse de se protéger malgré les remontranc­es de son aînée.

Cosmonaute.

«Fatima est courageuse, mais c’est une exception. Elle a un type de la maladie qui l’épargne. La majorité des enfants sont défigurés par le soleil et les opérations», précise Abdallah Saadi, président de l’associatio­n Ennour, qu’il a fondée avec la jeune femme en 2015. Le père de deux enfants malades, dont un est mort, explique que leur espérance de vie est «très faible», souvent à cause de mauvaises conditions de vie.

D’une allure de cosmonaute, Fatima sort de la foule d’étudiants avec son masque ventilé beige à la visière arrondie. «L’associatio­n a distribué deux masques de protection qui coûtent près de 1 500 euros, soit 17 000 dirhams», explique celle qui touche un salaire moyen de 4000 dirhams (360 euros) par mois. Vêtue d’une chemise violette et d’un pantalon noir anti-UV, Fatima affirme de sa faible voix filtrée par son masque que sa vie «a changé» depuis qu’elle peut sortir en plein jour. «Mais quand je cherche un taxi, j’enlève mon masque pour être sûre qu’il s’arrête», regrette-t-elle. «Si on me fait des remarques, je ferme mes oreilles et j’avance», assure Fatima, déterminée à trouver des financemen­ts pour que tous les enfants de la Lune vivent à l’abri grâce à ces masques. Abdallah Saadi récupère actuelleme­nt le matériel destiné à les fabriquer pour une trentaine d’enfants. «Nous les finalisero­ns au Maroc pour réduire les coûts», explique-t-il. La préfecture d’Inezgane, ville à 12 kilomètres d’Agadir, a déjà accepté de financer huit masques. A Agadir, Fatima s’occupe de distribuer des pommades, crèmes solaires et gouttes pour les yeux grâce à des dons. «C’est révoltant que l’Etat ne prenne pas en charge ces produits qui s’achètent cher en parapharma­cie», s’agace-t-elle. De même pour le matériel de protection, les filtres pour les fenêtres et les ampoules LED qui ne diffusent pas d’UV. «Pourquoi l’Etat nous néglige-t-il ? La solution n’est pas de nous enfermer, mais de nous insérer dans la société grâce à du matériel approprié», milite Fatima, qui a mis de côté sa vie personnell­e. Quand on l’interroge sur le mariage, elle répond «blesh» («tant pis», en dialecte marocain) d’un air désabusé. •

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PHOTO KOKEL. BSIP Les personnes atteintes de Xeroderma pigmentosu­m souffrent d’une hypersensi­bilité à la lumière.

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