Amendements sans filtre
Malgré une consigne visant à limiter le droit d’amender et invitant les députés En marche à passer par un triage du groupe, de nombreux élus rechignent à se limiter. Parfois dans le but d’être mieux classés.
Les compteurs s’emballent. En commission des affaires économiques, les députés examinent cette semaine près de 2 500 amendements au projet de loi Elan. Le débat, la semaine prochaine dans l’hémicycle, autour du projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation devrait être tout aussi costaud, puisque le texte avait fait l’objet de 2 000 amendements en commission en avril. Sans être en pointe, les députés La République en marche (LREM) ne sont pas en reste. Concernant le texte sur l’évolution du logement, ils ont déposé 510 amendements individuels alors que le groupe LREM n’en porte officiellement qu’une trentaine.
Au début de la législature, le groupe majoritaire avait pourtant fixé une consigne à ses membres pour modérer leurs ardeurs. Bien sûr, il n’y a aucune interdiction, le droit d’amender étant garanti par la Constitution. Mais d’après le règlement de LREM, plutôt que de déposer des amendements à leur compte, les députés sont priés d’en passer par le groupe. Avant chaque discussion sur un texte, se tiennent des «réunions de balayage» pour les trier.
Or, depuis quelques semaines, il y a du relâchement dans les rangs. On l’a vu fin mars, quand une petite frange de députés «marcheurs», soucieux d’infléchir le projet de loi sur l’asile et l’immigration, avait défendu plusieurs dizaines d’amendements non tamponnés par le groupe. Ce qui avait donné lieu à un premier rappel à l’ordre de Richard Ferrand. Le patron des députés LREM, le 9 mai en réunion interne, les a de nouveau incités à se soumettre au filtrage du groupe. Et a pointé au passage les amendements au texte logement qui sont liés à la loi SRU (lire ci-contre) : «Vous voulez trouver le moyen de polluer un projet de loi sur un sujet qui n’en fait même pas partie», a-t-il relevé.
Mais de nombreux députés qui, en un an de mandat, ont appris à se saisir des outils parlementaires rechignent désormais à se brider. «Depuis l’affaire de la loi asile, je sens une volonté d’émancipation, mes jeunes collègues ne veulent plus rester taisants», observe Alain Tourret (LREM). Il se trouve aussi que le logement, comme l’agriculture, sont traditionnellement des thèmes dont s’emparent les parlementaires, directement interpellés dans leur circonscription. «Ces sujets génèrent effectivement beaucoup de créativité mais, ce qui me préoccupe, c’est d’avoir un débat efficace, qui se concentre sur l’essentiel», pointe Roland Lescure (LREM), président de la commission des affaires économiques. Rapporteur du texte sur l’agriculture et l’alimentation, Jean-Baptiste Moreau comprend la démarche de certains «qui ont vraiment bossé un sujet et ont envie de défendre leur point de vue jusqu’au bout même si, pour faire aboutir un amendement, mieux vaut mettre le rapporteur dans la boucle». Il est, en revanche, perplexe sur des séries d’amendements identiques qui sont des «copiés-collés» des propositions des lobbys, une manie tenace, pour le coup, sur tous les bancs de l’hémicycle.
Cette profusion d’amendements a aussi une raison bien plus pragmatique. Les néophytes de l’Assemblée ont découvert les joies des classements de députés. Copieusement repris par la presse régionale, ces palmarès ont toujours beaucoup d’écho en circonscription… a fortiori pour les moins bien notés. Avec les prises de paroles ou les présences en commission, le nombre d’amendements signés fait partie des critères retenus. Ceux qui ont suivi la consigne de renoncer à leurs amendements s’ils n’étaient pas validés par le groupe, l’ont appris à leurs dépens. Un député LREM, responsable sur un projet de loi, raconte ainsi : «Plusieurs collègues m’ont dit : “Tant pis, je dépose quand même. Il faut que je remonte mes stats, je suis dans le rouge sur Nosdéputés.fr”», plateforme qui agrège les données officielles liées à l’activité parlementaire, sans faire ellemême de hit-parade global.
Fin juin, les députés auront à examiner le projet de loi constitutionnel qui vise notamment à accélérer le processus de fabrication de la loi. Il prévoit que les amendements ne relevant pas du domaine législatif, n’ayant pas de portée normative, ou sans lien direct avec le texte seront d’emblée irrecevables. Certains tenterontils alors d’amender cette limitation du droit d’amendement ? LAURE EQUY