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Crimes et délits sexuels sur mineurs : une occasion manquée ?

L’article 2 du projet de loi sur les violences sexuelles sur des mineurs de moins de 15 ans vient d’être adopté. Reculant sur l’idée d’une «présomptio­n de non-consenteme­nt» pour ne pas trancher entre partisans d’un seuil à 13 ans ou à 15 ans, il ne va sat

- Par IRÈNE THÉRY

Il est probable que personne ne sera content avec la nouvelle loi sur les violences sexistes et sexuelles, et voici pourquoi. La société a le sentiment qu’il y a des relations entre majeurs et mineurs qu’elle considère comme des agressions ou des viols du mineur du seul fait de la différence d’âge. Du seul fait. De là la demande qui avait été faite d’instituer une présomptio­n de non-consenteme­nt du mineur pour toute relation avec un majeur. Ceci acquis, à l’automne, le débat s’est concentré sur le seuil d’âge. Lequel ? 12, 13, 15 ? La psychiatre Muriel Salmona et les militants de la «mémoire traumatiqu­e» voulaient un seuil à 15 ans et une imprescrip­tibilité des crimes sexuels (aujourd’hui réservée aux seuls crimes contre l’humanité). Après bien d’autres, j’ai plaidé pour un seuil d’âge à 13 ans et expliqué pourquoi dans une tribune publiée par Libération le 27 décembre. En effet, il paraît difficile de justifier qu’un rapport entre une fille de 14 ans et demi et un garçon de 18 ans, ou entre deux garçons des mêmes âges, ou entre deux filles des mêmes âges, soit considéré comme un viol. 15 ans : un tel seuil ne tient pas compte de ce que l’on sait de l’entrée dans la sexualité des jeunes, et pouvait donner des armes terribles à des parents qui rejettent le petit ami de leur fille ou fils (racisme, homophobie, etc.). De nombreux organismes, et la ministre de la Justice elle-même, s’étaient prononcés pour un seuil à 13 ans. Que s’est-il passé ? Eh bien vous le savez : le président de la République a réagi trop vite, et pour une fois émotivemen­t, sur un sujet qu’il ne connaissai­t pas bien, et a dit «15 ans» avant même d’avoir entendu les arguments des juristes, que ce soit du Conseil d’Etat ou des syndicats d’avocats et de magistrats, qui depuis des semaines discutaien­t de cela. Après, quand ils ont compris les problèmes, il a fallu rétropédal­er. On aurait pu aller vers un seuil à 13 ans. Mais on risquait d’avoir l’air de déjuger le Président. Pour éviter cela à tout prix, on a fait moins que ce qu’on aurait pu faire. Afin de pouvoir continuer à évoquer l’âge de 15 ans, on a joué sur le fait que ce seuil est déjà celui de la majorité sexuelle, depuis très longtemps. On a décidé de se borner à punir davantage le délit d’atteinte sexuelle, qui existe déjà. Et décidé de préciser dans la loi que l’âge peut être un motif de considérer qu’il y avait «contrainte», donc viol (ce que font nombre décisions judiciaire­s).

On peut tout à fait approuver ces changement­s introduits par le projet de loi, ce qui est mon cas, et se dire qu’on pouvait faire mieux. Car rien n’empêchait de les énoncer et d’y ajouter aussi une présomptio­n de non-consenteme­nt en dessous de 13 ans. L’ironie de la chose, si on y réfléchit, est que cela aurait moins déjugé le Président : après tout, il s’était prononcé sur l’essentiel, l’institutio­n d’une présomptio­n de non-consenteme­nt, et pas seulement sur la déterminat­ion d’un seuil… L’abandon de toute idée de créer une présomptio­n de non-consenteme­nt a créé un sentiment de recul sur lequel surfe la pétition «Le viol est un crime, pas un délit, retirez l’article 2» ini- tiée il y a deux jours par Muriel Salmona et Caroline de Haas. Le problème de cette pétition, c’est cette folie qu’elle a de prétendre que le projet de loi aurait inventé dans son article 2 un «délit de viol», comme si désormais le viol n’était plus un crime (donc était moins grave) quand c’est un mineur qui est victime ! C’est une telle absurdité et une manipulati­on si grossière du texte qu’on ne comprend pas que des gens sensés soient tombés dedans.

La seule et vraie raison de leur tribune est que les signataire­s ont déjà tranché depuis des mois et ne veulent pas en démordre : le seul vrai seuil en deçà duquel toute relation est un viol, à leurs yeux, c’est 15 ans. Même dans le cas que j’évoquais plus haut des petits amis de 14 ans et demi et 18 ans qui s’aiment. C’est donc à partir de leur définition (de leur définition «privée», en quelque sorte) qu’ils prétendent qu’on en fait un délit. Cette prétention est abracadabr­antesque. Mais elle est aussi absurde et indigne : car, on doit le répéter, même imparfait le projet permet bien de punir tous les viols (les vrais, si j’ose dire) envers des mineurs, y compris avec le seul argument de l’âge comme constituan­t la contrainte. Bref, personne n’y comprend plus rien, la frustratio­n demeure, la dictature de l’émotion reprend ses droits, l’éducation démocratiq­ue aux catégories du droit ne parvient pas à se faire entendre, et les progrès que représente tout de même le projet sont vus comme des reculs par rapport aux attentes, y compris de celles de personnes raisonnabl­es qui s’étaient efforcées de plaider pour une protection des mineurs qui soit aussi un accompagne­ment progressif de ceux-ci vers leur autonomie sexuelle. C’est ce qu’on appelle une occasion manquée. •

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