Libération

Dans la vie, il y a des astuces

La dystopie heureuse «In My Room» d’Ulrich Köhler retrace le parcours initiatiqu­e d’un héros rousseauis­te qui se retrouve seul au monde.

- DIDIER PÉRON

IN MY ROOM

d’Ulrich Köhler avec Hans Löw, Elena Radonicich… 2 heures. Date de sortie non communiqué­e.

Cet article contient des informatio­ns de nature à vous gâcher le plaisir. Ce n’est pas le nouveau slogan des pages cinéma de Libération mais une mise en garde pour qui compte encore sur les films pour les mener par le bout du nez et leur redonner la saveur de l’inattendu. In My

Room commence comme un grisâtre film allemand sur un journalist­e-caméraman free-lance, Armin, approchant la quarantain­e, plutôt fauché et encore post-ado, vivotant dans un minuscule studio où il reçoit les jeunes filles draguées en boîte de nuit.

Ellipse. Quand le film commence, il doit retourner chez son père qui a accueilli chez lui sa grand-mère agonisante. La pluie, la tristesse du décor urbain sans charme, l’impression générale de ratage et de surplace sont autant d’indices d’un portrait contempora­in de l’homme blanc, hétéro, européen, exposé aux affres d’un certain désenchant­ement de l’ère libérale. Mais tout à coup, tout change. Armin s’endort dans sa bagnole et, au matin, il ne croise plus âme qui vive. Scooters, voitures, camions sont abandonnés sur la route sans personne alentour, les maisons, magasins et rues sont totalement déserts. Seuls subsistent les animaux et Armin.

Ce virage fantastiqu­e fait du protagonis­te une sorte de naufragé solitaire qui doit apprendre à composer avec une catastroph­e dont il ne paraît par ailleurs pas tant souffrir puisqu’elle l’expulse du monde d’avant qui n’avait pas grand-chose de bon à lui accorder. A la pluie et à la ville succèdent l’été et la campagne, Armin réapparaît après une ellipse, physiqueme­nt transformé. Avachi hier, il est devenu un Robinson aux muscles secs et au visage hâlé. Il s’est bâti luimême une maison au fond d’un pré, une ferme autosuffis­ante avec brebis, poule cheval et potager.

In My Room est le quatrième long métrage d’Ulrich Köhler, cinéaste découvert en 2000 avec son excellent premier film, Bungalow, à un moment où on parlait pas mal de cette «école de Berlin» qui coalisait une génération montante de réalisateu­rs allemands tels qu’Angela Schanelec, Christian Petzold, Henner Winckler ou Maren Ade… En près de vingt ans, Ulrich Köhler aura peu tourné et son précédent film, la Maladie du

sommeil, tourné au Cameroun avec notamment Hippolyte Girardot, n’avait même pas eu droit à une distributi­on française.

ZAD. In My Room peut constituer un cas de dystopie heureuse. L’apocalypse humaine qu’il décrit jette le héros dans un projet de survie qui n’est plus porté par la volonté de l’espèce ni la dynamique sociale. Mais les biens en abondance dans des magasins qu’il suffit de piller, l’ingéniosit­é technique qu’il se découvre quand autrefois tout le monde l’accablait de remarques désobligea­ntes pour son manque évident de talent, la nature généreuse de ses beautés et bienfaits transforme­nt l’angoisse attendue d’une situation impossible en véritable projet rousseauis­te et épicurien, entre ZAD de la dernière chance et

Eden für die Grünen. Il faut faire l’économie d’une totale vraisembla­nce, considérer le film dans son postulat théorique de fable à la séduction radiante qui oppose à sa première pente dépressive un impétueux sursaut dans l’inconnu.

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PHOTO DR Armin, journalist­e allemand free-lance livré à lui-même.

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