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PARTI SOCIALISTE Une page se tourne et les portes claquent

Après avoir tergiversé, le député européen quitte sa famille politique pour rejoindre La France insoumise. Son alliée Marie-Noëlle Lienemann doit à son tour annoncer sa défection ce samedi.

- Par RACHID LAÏRECHE

Un saut dans le vide mais pas une surprise. Leader de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel quitte le parti. Son départ était dans les tuyaux depuis des semaines et il devrait figurer sur les listes de La France Insoumise de son ami Jean-Luc Mélenchon lors des élections européenne­s en mai. «Mieux vaut partir plutôt que de se mentir à soi-même et aux autres. Le PS ne correspond plus à l’idée que je me fais du socialisme», dit-il vendredi, dans un entretien au Monde. «C’est un choix de carrière personnel», essaie de dédramatis­er Olivier Faure, le patron du PS, qui a tenté de convaincre le député européen jusqu’au dernier moment. Le premier secrétaire regrette son choix. Maurel, lui, assume. Même s’il a très longuement hésité avant de claquer la porte. Une page de son histoire se tourne.

Emmanuel Maurel grandit dans le Val-d’Oise, entouré d’un père ingénieur agronome et d’une mère prof de maths dans un lycée. La politique est loin de la maison. Le futur socialiste découvre sa voie à l’adolescenc­e: les manifestat­ions contre la loi Devaquet, avec comme point d’orgue la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986. La porte du Parti socialiste s’ouvre un peu plus tard. Il enfile le costume de facteur pour financer ses études. Il se souvient : «Un jour, je distribuai­s le courrier, notamment le journal du Parti socialiste, qui s’appelait Vendredi. Je frappe à la porte d’une personne qui le recevait, une vieille instit, Suzanne Voisin, elle m’a fait entrer…» Il a suffi d’une heure et d’un café pour le convaincre. Depuis, il a été conseiller municipal, vice-président de la région Ile-deFrance. Aujourd’hui, il siège au Parlement européen.

Décantatio­n

Le littéraire a toujours été très attaché au parti de François Mitterrand, Michel Rocard et Jean Poperen, son mentor. Son départ du PS ne figurait pas dans ses plans. Le député européen est un adepte des courants, des motions et des réunions, enchaînées entre socialiste­s qui se déchirent pour une virgule ou un mot mal placé dans une phrase. «J’aime mon parti, ses rituels, ses militants, et je ne me résous pas à le voir disparaîtr­e», confiait-il à Libération l’an dernier. Sa sévère défaite lors du dernier congrès, en avril, a bouleversé les choses. Le doute. Les interrogat­ions. Et les regards insistants de l’insoumis Mélenchon ont pesé sur la décantatio­n. Le socialiste a passé l’été entre deux eaux : tous les jours, des camarades du parti au bout du fil, ce qui ne facilite pas le choix. Martine Aubry («Emmanuel est un homme brillant, intelligen­t et qui a des idées et ce n’est pas donné à tout le monde au PS»), Julien Dray («Tous ceux qui pensent que le départ d’un socialiste vers une autre famille politique est une bonne nouvelle se trompent, à part s’ils souhaitent que le PS devienne un groupuscul­e»), Jean-Christophe Cambadélis («Une perte politique et symbolique»). Du coup, l’eurodéputé ne claque pas la porte du PS avec le sourire. Une sorte de déchirure, un départ à petite foulée. Tous les éléphants socialiste­s s’accordent à dire que le mélancoliq­ue Maurel ne sera pas plus heureux ailleurs. Que la politique qu’il aime n’existe plus. Le tout nouveau «ex»-socialiste préfère les débats autour d’une bouteille (et d’un cendrier qui déborde de mégots) aux réseaux sociaux : il trouve que ça rend les gens «cons», même les plus intelligen­ts.

Au PS, au sein de l’aile gauche, ils sont nombreux à désapprouv­er son choix. La situation laisse un goût amer à ses amis. Certains parlent «d’abandon de poste». En début de semaine, au bout du fil, Maurel ne faisait pas mystère de ses appréhensi­ons : «Je n’aime pas décevoir les gens, ce n’est pas simple, il y a des personnes dans les sections PS, que la presse ne connaît pas, qui comptent beaucoup pour moi. J’explique mon choix mais tout le monde ne comprend pas.» A en croire JeanChrist­ophe Cambadélis, la figure de l’aile gauche ne se comprend pas lui-même. «Emmanuel, que je connais bien, est perdu, très perdu, explique l’ancien patron du PS. Il ne part pas pour les bonnes raisons : aucun socialiste n’a réussi à trouver les bons mots pour le convaincre de rester, contrairem­ent à Mélenchon qui lui a vendu du rêve. Mais il ne trouvera jamais la même liberté, il le sait, au sein de La France insoumise. Il sera un parmi d’autres.» Pris dans ces injonction­s contradict­oires, Emmanuel Maurel veut montrer qu’il ne part pas seul. «Ce n’est pas un départ, c’est une scission», dit-il au Monde. Mais une grande partie des troupes de la gauche socialiste a déjà mis les voiles, dans le sillage de Benoît Hamon. Maurel assure qu’il est suivi par une centaine de socialiste­s. La direction du PS ne valide pas le chiffre: ils seraient une «petite poignée seulement».

Camionnett­e

Une chose est certaine : MarieNoëll­e Lienemann l’accompagne. A 67 ans, la vice-présidente de son mouvement annoncera officielle­ment sa rupture samedi matin. Lienemann, Maurel : deux salles, deux ambiances. Le député européen confirme dans un sourire : «Elle est à fond, mais ce n’est pas nouveau car Marie-Noëlle est toujours à fond.»

Sa carrière au PS est aussi longue qu’une nuit d’hiver : elle a tout connu. Première carte au PS en 1971 et des mandats en pagaille, du local, du régional, des postes au gouverneme­nt (elle a été ministre du Logement sous Bérégovoy) en passant par le Parlement européen. Une vie politique riche ponctuée d’un livre après chaque présidenti­elle pour dire à quel point les socialiste­s se trompaient, un visage emblématiq­ue. Un dirigeant socialiste: «Elle va nous manquer mais, contrairem­ent à Maurel, elle nous quitte sans regrets. Elle se lance dans une dernière aventure car elle ne croit plus au PS. Elle retrouve Mélenchon après l’avoir côtoyé durant des années, ils se connaissen­t par coeur.» A la fin des années 80, accompagné­e de Julien Dray, la petite bande a fait les quatre cents coups dans l’Essonne. Le leader de La France Insoumise, lui, est tout heureux. Maurel et Lienemann tombent à pic: il cherche à élargir sa base à quelques mois des élections européenne­s du printemps. Cet été, à Marseille, Mélenchon a profité de son invitation à l’université du club fondé par Maurel et Lienemann, Nos Causes communes, pour rassurer les deux futurs déserteurs, déversant sur eux une tonne d’amour par anticipati­on. «Je ne suis pas venu ici vous courtiser ni vous reprocher vos anciennes erreurs, car vous pourriez me faire remarquer que j’en ai partagé beaucoup, a-t-il commencé. J’ai le coeur plein d’enthousias­me si vos chemins viennent en jonction des nôtres. Que finisse cette longue solitude pour moi d’avoir été séparé de ma famille. Mes amis, vous me manquiez.» Ses mots ont fait mouche. Avant de fermer un grand chapitre de leur histoire socialiste, les deux partants se sont rendus mardi à Solférino – le siège historique qui n’appartient plus au PS– avec une camionnett­e de déménageme­nt afin de récupérer affiches, livres, drapeaux et tracts. Souvenirs d’une époque bientôt lointaine. •

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Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, à Marennes (Charente-Maritime) en 2015.

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