Libération

Le cinéaste Peter Bogdanovic­h remis en salles

L’outsider américain à la carrière chaotique mais traversée de fulgurance­s est l’objet cet automne de plusieurs publicatio­ns et voit deux de ses chefs-d’oeuvre ressortir en DVD e t sur grand écran.

- Par NATHALIE DRAY

«Un jour, j’ai demandé à Orson Welles de comparer John Ford et Howard Hawks et il m’a répondu ceci : “Hawks, c’est de la grande prose, Ford, c’est de la poésie.” Un cinéaste fordien serait pour moi, un cinéaste doté d’une sensibilit­é élégiaque, tandis que Hawks a un style et un rapport au monde plus directs. Je pense que je suis tombé quelque part entre les deux.» Bien sûr, on pourrait sourire de l’impercepti­ble forfanteri­e de l’auteur de ces lignes que rapporte Jean-Baptiste Thoret dans le beau livre d’entretiens qu’il vient de lui consacrer – le Cinéma comme élégie, conversati­on avec Peter Bogdanovic­h (GM Editions-Carlotta Films). De cette façon un peu crâne de se glisser, mine de rien, entre deux figures tutélaires du cinéma hollywoodi­en, et même trois si l’on compte Welles auquel Bogdanovic­h fut parfois comparé à ses débuts pour la maîtrise de son style et la fulgurance d’une carrière qui s’annonçait prometteus­e, mais qui sera minée au début des années 80 par l’assassinat de sa jeune compagne, la playmate Dorothy Stratten, dont il relate les circonstan­ces dans un récit, la Mise à mort de la Licorne enfin traduit et publié par GM Editions-Carlotta Films.

Etoile filante

Mais plutôt que de s’arrêter à cette infime arrogance –un trait de caractère qui lui fut souvent reproché à Hollywood –, notons que ces propos soulignent (en même temps que son allégeance à un certain classicism­e) la dualité d’un cinéma écartelé entre le vif et la perte de l’innocence, entre la vitesse et la nostalgie contemplat­ive, le mouvement et le désir buissonnie­r d’en moduler le rythme, jusqu’à atteindre une liberté folle dans l’art très renoirien d’arrimer le récit à ses personnage­s, et de le laisser flotter au gré du flux comme un bouchon de liège – art qui touche à la perfection dans sa virevoltan­te comédie romantique Et tout le monde riait (1981) ou encore dans Saint Jack (1979), languide chef-d’oeuvre méconnu avec l’immense Ben Gazzara en mac cool et débonnaire exilé à Singapour, qu’une réédition concoctée par Carlotta Films permet enfin de redécouvri­r sur grand écran et dans un superbe coffret Bluray.

Pour ceux qui ne connaissen­t Peter Bogdanovic­h que sous les traits du psy de Lorraine Bracco qu’il incarna dans la série les Soprano – dont il réalisa lui-même un épisode en 2004 –, et pour les autres qui peinent à identifier clairement sa filmograph­ie en dents de scie, dont injustemen­t on ne retient souvent que la toute première partie et son succès oscarisé The Last Picture Show (1971), chronique désenchant­ée d’une jeunesse sans avenir dans le Texas endormi des années 50, la riche actualité dont Bogdanovic­h fait l’objet cet automne arrive à point nommé pour battre en brèche les raccourcis dont il est souvent l’objet. Le premier consiste à ne percevoir en ce cinéaste, né en 1939 à Kingston (Etat de

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PHOTO ARCHIVES DU 7E ART. PLAYBOY PRODUCTION­S. PHOTO 12 Peter Bogdanovic­h, Monika Subramania­m, Robby Müller et Ben Gazzara sur le tournage de Saint Jack, en 1979.

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