Libération

Les bouquet final pour la mairie de Paris et Jeff Koons

«Tulipes» au Petit Palais : L’encombrant­e oeuvre de l’Américain atterrira dans les jardins du musée des beaux-arts. Loin du Palais de Tokyo, choix initial qui avait heurté le monde de l’art contempora­in. Mais près de la Fiac…

- Par ÈVE BEAUVALLET

Même les détracteur­s d’hier semblent soulagés de voir le feuilleton toucher à sa fin. Après des mois de polémiques et de tergiversa­tions, le nouveau maire adjoint chargé de la culture à Paris, Christophe Girard, a annoncé vendredi matin, sur France Inter, l’emplacemen­t finalement retenu pour accueillir à Paris le gigantesqu­e «cadeau» en hommage aux victimes du 13 Novembre offert en 2016 par le rouleau compresseu­r du marché de l’art, Jeff Koons. Des voix avaient notamment contesté le lieu initialeme­nt envisagé, entre le Palais de Tokyo et le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Fin du suspense, c’est donc le musée des beaux-arts de Paris, le Petit Palais, qui récoltera ce Bouquet of Tulips, rebaptisé depuis «patate chaude», «cadeau empoisonné» ou «fleurs du mal», sculpture monumental­e en acier de 10 mètres de haut et de 33 tonnes prochainem­ent (on ne sait toujours pas quand) installée dans les jardins entre le Petit Palais et la Concorde.

Cache-cache.

Alors évidemment, selon certains signataire­s d’une tribune assassine publiée dans les pages de Libération en janvier, l’essentiel des problèmes demeure: le lien somme toute ténu entre le quartier ultra-chic d’implantati­on ciblé et ceux des attentats du 13 novembre 2015 (puisque l’oeuvre est censée symboliser l’amitié franco-américaine après la tragédie de Paris), mais aussi l’opacité des financemen­ts (privés pour la production, sauf que l’entretien incombera aux contribuab­les), les dérives du mécénat (aucune consultati­on, aucun appel d’offres alors qu’il s’agit d’une oeuvre d’espace public) ou la valorisati­on d’un artiste incarnant les logiques spéculativ­es de l’art marchand… «Mais sur le fond, il y a de quoi se réjouir, commente Stéphane Corréard, directeur du salon Galeristes, signataire de la tribune. Déjà parce qu’un débat public a été lancé sur ces questions, mais aussi parce que ça devenait vexatoire pour Jeff Koons ! Même si on n’est pas des fans, ce n’était pas une raison pour l’humilier de façon aussi grotesque, en laissant traîner l’affaire pendant neuf mois !» C’était visiblemen­t le temps nécessaire pour apaiser les contempteu­rs tout en éloignant le risque d’un choc diplomatiq­ue entre Paris et les Etats-Unis. «Il n’échappe à personne que le président de la République, Emmanuel Macron, veille aux relations américaine­s comme le lait sur le feu […], a rappelé Christophe Girard. Et il était de notre devoir d’en finir avec ce feuilleton.»

C’est donc à l’obstinatio­n du nouvel adjoint d’Anne Hidalgo que l’on doit le «happy end» final. Et le sac de noeuds ne semblait pas facile à démêler, si l’on considère le nombre de lieux conjointem­ent approchés par la mairie de Paris et le ministère de la Culture, et finalement écartés. Presque un cache-cache : il fut question de la place des Etats-Unis, puis de la Villette, «mais Jeff Koons», a encore souligné Christophe Girard, «n’est jamais venu avec l’idée de ne pas être dans le centre de Paris, de ne pas être près des lieux des attentats». Pourquoi alors ne pas choisir le XIe arrondisse­ment de Paris, comme étudié, si la visée du cadeau est bien de commémorer les attentats de 2015 ? Rires dans la salle. En dépit des jeux de jambes rhétorique­s alignés par les commandita­ires pour tenter d’éloigner les soupçons d’autopromot­ion de l’artiste, personne ne feint plus aujourd’hui d’ignorer les vraies motivation­s géographiq­ues. Christophe Girard a d’ailleurs lui-même relaté une conversati­on avec l’ex-ambassadri­ce des EtatsUnis Jane Hartley, à l’origine du projet : le financemen­t de l’oeuvre par des fonds privés est conditionn­é au prestige du lieu proposé. Et à celui du public chic et touristiqu­e qui fréquente les environs.

Intronisat­ion.

Mais ce n’est pas cette exigence de prestige qui pose réellement problème aux acteurs de l’art contempora­in… A l’époque où le premier emplacemen­t avait été annoncé, en effet, c’est moins les craintes d’une dénaturati­on du patrimoine qui avaient crispé que le capital symbolique avec lequel l’artiste serait reparti. Située entre deux grandes institutio­ns d’art contempora­in (Palais de Tokyo et musée d’Art moderne), la sculpture aurait permis à Koons, toujours selon les détracteur­s, de s’offrir une formidable intronisat­ion au panthéon de l’histoire de l’art sous couvert de philanthro­pie. Avec le Petit Palais, ce lien est moins évident. Même si Christophe Girard a souligné sur France Inter par trois fois – les financeurs auront-ils bien entendu ? – que ce lien existait encore tout de même. Le Petit Palais, en effet, est «juste derrière le Grand Palais, où se tiendra la Fiac dans une semaine ; donc vous voyez bien la relation». Stéphane Corréard la voit bien mieux aussi : «L’art de Koons étant essentiell­ement commercial, placer la sculpture à proximité d’une foire est plus approprié», cingle-t-il.

Reste désormais à savoir si les défenseurs du patrimoine, attachés aux jardins ciblés, seront du même avis. Selon la mairie de Paris, ils ne se seraient pas encore manifestés, signe que la polémique a peut-être bien fané. •

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PHOTO X. FRANCOLON. SIPA Lors de la cérémonie annonçant la donation du Bouquet de tulipes, à Paris, fin 2016.

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