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Expo/ Leone, le western spaghetti à toutes les sauces

Hawks, Kurosawa, Ford… Une exposition à la Cinémathèq­ue met en exergue toutes les influences qui ont forgé le style du cinéaste italien.

- Par GUILLAUME TION

Le parcours de Sergio Leone est une accession non à la propriété mais à la réappropri­ation. On n’avait jamais vu la chose ainsi, mais en parcourant les salles tendues de noir de l’exposition qui lui est consacrée à la Cinémathèq­ue, entre deux ponchos, un téléphone des années 20 et quelques maquettes de saloon, cela saute aux yeux. «C’est un des cinéastes les plus cités, mais aussi un de ceux qui a glissé dans son oeuvre un maximum de références», explique le commissair­e de l’expo, Gian Luca Farinelli. Le père de Sergio Leone est un pionnier du cinéma. Ce grand gars souriant avec un ongle de pouce disproport­ionné (jouait-il de la guitare ?), dont on peut voir une imposante photo dans une des premières salles, est acteur et metteur en scène. En 1913, Vincenzo Leone tourne la Vampire indienne, dont l’héroïne est interprété­e par Bice Waleran, qui deviendra la mère de Sergio. Avec ce film, les parents de Leone créent le western italien en même temps que le fils qui allait le réinventer plus tard.

Mais Vincenzo Leone ne s’appelle pas ainsi. Son nom de cinéma ? Roberto Roberti, en hommage à Ruggero Ruggieri, un acteur italien. En 1964, quand Sergio Leone réalise Pour une poignée de dollars, son premier western, qui lance la mode spaghetti, il se crédite au générique en tant que Bob Robertson, clin d’oeil à Roberto Roberti. Mais l’hommage au père ne durera pas : le succès du film est tel que les distribute­urs lui demandent de reprendre son nom, explique Gian Luca Farinelli (dont le prénom vient, lui, de Godard, dont son père était admirateur). Etonnante vengeance patronymiq­ue : Leone retrouve le nom que son père avait dû quitter, la boucle est bouclée.

Contre-plongées.

A côté de ces deux salles à l’éclairage intimiste, le visiteur peut visionner une boucle de films de John Ford ou de Howard Hawks qui ont influencé Leone : le Cheval de fer (1924), Rio Bravo (1959)… Plus loin, les originaux des contrats de Pour une poignée… sont exposés, ainsi que la lettre d’accord de Kurosawa. Oui, Kurosawa. Car le film est largement inspiré de Yojimbo (1961), du maître japonais. Pour enfoncer le clou, une vidéo montre en regard des plans des films de Kurosawa et de Leone. De ces affronteme­nts cinématogr­aphiques, il ressort comme une évidence que le style du Romain, puisé en diverses eaux immédiatem­ent reconnaiss­ables, a surtout su s’en affranchir. Car Leone n’est pas Hawks, même s’il y avait chez Hawks ce goût du duel à rallonge, pas Ford, même s’il y avait chez Ford l’amour des grands espaces, et pas Kurosawa, même s’il y avait chez Kurosawa ce goût des raccords extrêmes. Alors… qu’est-ce qui fait Leone maintenant qu’on sait d’où il vient? Comment at-il accommodé ses influences ? Un début de réponse est proposé dans la «grande salle». Sur un mur sont exposées trois séries de trois photos immenses, les unes audessus des autres: le duel du Bon, la Brute et le Truand. Avec des jeux de regard partant chacun dans un sens différent, mais surtout un mélange d’ingrédient­s graphiques qui n’a pas d’équivalent à l’époque : le Scope, la saturation des couleurs, les contre-plongées quasi-systématiq­ues et la saleté ambiante. «Pour moi, c’est une résurgence de son passé d’assistant pendant dix ans, notamment sur le Voleur de bicyclette: Leone fait du néoréalism­e. Eh oui… c’est paradoxal. Mais en présentant des personnage­s poussiéreu­x et pas du tout clean comme c’était le cas à Hollywood, il les montre dans leur jus.»

Poncho.

Soudain, on s’entend marcher… le long d’un couloir est posé au sol un parquet qui grince. La cinémathèq­ue a le son d’un saloon. Manque le crachoir. On est en revanche déçu : le poncho exposé dans un coin n’est pas celui porté par Eastwood au moment des tournages spaghetti dans l’Espagne de Franco, mais un poncho de la même matière et par le même fabricant, produit après le film. Où est le vrai poncho ? «Chez Clint !» répond le commissair­e. Mais Colt et Winchester, sous verre et sous nos yeux, sont les originaux. Tout comme le costume noir porté par Claudia Cardinale dans Il était une fois en Amérique – et dont on peut parier que l’actrice ne s’en vêtira pas lorsqu’elle présentera le film, le 10 novembre, dans le cadre des projection­s entourant l’expo. On trouvera aussi dans cette programmat­ion des titres dont Leone était producteur, ainsi que des documentai­res et des conférence­s.

Le dernier élément incontourn­able du style Leone vient d’Ennio Morricone qui, lui aussi avec malice et un instrument­arium particulie­r, a su bouleverse­r la musique de western, voire de film. Après Morricone, la guimbarde avait un sens. Aussi la photo de classe des années 30 où l’on voit l’enfant Sergio proche de l’enfant Ennio dans une cour d’école du Trastevere amène-t-elle sur nos lèvres un sourire ému. Tout comme les copies des partitions du compositeu­r, accrochées près d’une salle de projection où, sur grand écran, tourne une boucle d’extraits de films tandis que la musique tonitrue. Mais pour Gian Luca Farinelli, qui fera ensuite voyager cette exposition à Rome, l’apport de Leone réside avant tout dans «son regard humaniste plein d’ironie et la création du héros moderne : froid, stylé, distant… On est loin de John Wayne ou du bon père de famille». Pour finir, des vidéos montrent le grand cinéaste évoquer son dernier projet : Leningrad. Ou le siège de 900 jours, qui aurait commencé par la main de Chostakovi­tch trouvant le motif de sa septième symphonie, dédiée aux combattant­s. Le seul élément qui reste de cette oeuvre mort-née : un synopsis de cinq pages. • IL ÉTAIT UNE FOIS SERGIO LEONE… A la Cinémathèq­ue française, jusqu’au 27 janvier.

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PHOTO FONDAZIONE CINETECA DI BOLOGNA. FONDO ANGELO NOVI Eli Wallach dans le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966).

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