Le crépuscule d’un vieux chien qui s’enfonce dans la forêt et ses souvenirs: un cheminement émouvant et hypnotique, saturé de lignes, comme un minimalisme nostalgique.
Il y a un petit goût d’Où est Charlie? dans ce livre atrocement triste. Chaque planche, chaque case invite le lecteur à retrouver où se dissimule un vieux chien philosophe. Bonne patte, l’auteur guide l’oeil en collant les quelques bulles non loin dudit Kimi. Mais chez Nylso, le plaisir se niche précisément dans l’incertitude, lorsque le regard appréhende le dessin comme un tout, avant d’extirper des objets de la masse, d’individualiser et de nommer les choses à mesure qu’il les distingue – un arbre, un chien, un vieux pick-up rendu à la nature.
La beauté rare de Kimi le vieux chien est de parvenir à replonger le lecteur dans cet état d’errance mentale après un premier passage du cerveau. On voit, on lit, et puis on finit à nouveau dans le décor, à la dérive, ne fixant plus les traits comme des lignes uniquement destinées à charpenter la narration mais comme des signes cabalistiques. Hypnose pareille au mouvement de branches dodelinant au vent.
Kimi raconte le chemin d’un vieux clebs qui fait partie des meubles. Autrefois centre d’attention de la famille, il est devenu obsolète. Remplacé par un bébé, par la vie qui va, peu importe. Son voyage n’est pas un nouveau départ, il est trop tard pour ça, mais un adieu au monde, une ultime promenade tête baissée, le corps lourd et usé. Aujourd’hui serpillière flapie, Kimi se souvient avoir couru la campagne la truffe au vent, sentant tout, ne faisant qu’un avec la nature. Par la force des choses, c’est par le trait qu’il se confond aujourd’hui avec la nature. Car tout est trait, on est la somme de nos lignes, et le chien chemine vers le grand compost. Dans cette verdure noire comme l’encre, il cherche un endroit où personne ne pourra le retrouver. Il se cache pour mourir. Sinistre jeu de piste.
Nylso est de l’école du croquis, du dessin sans but. Chacune de ses images appartient au registre de la chose vue, du réel enregistré sur le vif. Chaque case se charge aussi d’une énergie inverse qui semble la renvoyer au monde de l’esprit, comme sortie d’une transe graphique. On ne dessine pas ces amas de lignes sans lâcher prise. Pour l’auteur comme pour le lecteur, Kimi tient de l’envoûtement. Un abandon aux dieux du geste répété, du coup de Rotring multiplié, décliné, incliné, accumulé, hors de contrôle. Echafaudage de verticales, horizontales, foisonnantes mais jamais bien longues, chaque dessin édifie quelque chose de grandiose. Une miniature qui enferme le gigantisme d’un panorama. L’accidentalité de ce qui ressemble à du dessin automatique rejoint la marche sans but d’un être vivant aux portes de la mort. Qui avance pour sentir, pour savoir le pourquoi du comment. Une marche à sens unique : tout droit, loin des hommes, loin dans la forêt, loin dans ses pensées. MARIUS CHAPUIS KIMI LE VIEUX CHIEN de NYLSO éd. Misma, 144 pp., 20 €.