Libération

Photo/ Vik Muniz vers l’abstractio­n

Virage du Brésilien, qui multiplie les techniques dans une série colorée qui tend joyeusemen­t vers le cubisme.

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Exit les paysages façon cartes postales géantes composées de milliers de déchirures de journaux ou les portraits à base de chocolat, caviar, ketchup ou diamants. A la galerie Xippas, Vik Muniz ouvre un nouveau chapitre. Voici des compositio­ns abstraites, de format raisonnabl­e : à l’intérieur de cadres blancs, cercles, sinusoïdes, rectangles, carrés, triangles s’entrechoqu­ent et se superposen­t dans un joyeux carnaval de couleurs. La série «Handmade» porte bien son nom: laser, cutter et ciseaux semblent avoir découpé des papiers peints à la main, évidé des formes, collé des morceaux, amoncelé des matières, tendu des cordelette­s. A moins que tout cela ne soit une illusion, comme toujours avec l’artiste brésilien habitué à nous faire prendre de la confiture de fraises pour le visage de Mona Lisa. Car en s’approchant des tirages, dans un entrelacs de matières, il paraît difficile de distinguer fils et photos de fils, ombres réelles et photos d’ombres… L’oeil voyage ainsi entre le réel et sa représenta­tion. «Il faut toujours se méfier de ce que l’on regarde. J’aime mettre le regard en doute, dans une position de faiblesse, dans une situation ambiguë. Créer un poison et son antidote», déclare Vik Muniz.

Cette nouvelle direction est venue un soir, après un dîner trop arrosé, nous raconte-t-il. Un peu saoul, il se met à dessiner sur une de ses photos d’arbre. «Tout d’un coup, je venais de bousiller mon tirage. J’avais fait un sandwich de représenta­tions». C’est alors qu’il renoue avec son travail des premières années, plus versé dans la sculpture et la fabricatio­n d’objets que la photograph­ie. Pour cette série, Muniz explore physiqueme­nt les couches et les dimensions de l’image en quittant la planéité du cibachrome, utilisé à partir de la fin des années 90. «Handmade» évoque les images de la nouvelle génération qui navigue allègremen­t dans Photoshop. «Nous sommes les témoins d’un virage radical. Avant, Photoshop était juste un outil pour retoucher les images. Aujourd’hui, c’est un geste en soi.» Certains jeunes photograph­es reconnus ont été ses élèves, comme Lucas Blalock ou Daniel Gordon. «J’ai toujours trouvé que la photograph­ie était le meilleur outil possible car elle est dans deux mondes, le tangible et l’intellectu­el. La nouvelle génération n’a plus de barrière, elle a plus de liberté que moi. Moi, j’achète encore des journaux et je jette mes Kindle.» Dans une compositio­n, il y a la photo d’un morceau de journal. Et parfois des vrais papiers froissés. Il est important pour Muniz qu’il reste des vestiges manuels.

CLÉMENTINE MERCIER VIK MUNIZ HANDMADE Galerie Xippas, 75003 Jusqu’au 20 octobre.

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PHOTO GALERIE XIPPAS Messed Up Colored Chart (2018).

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