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Série/ «Sorry for Your Loss», deuil pour oeil

Diffusée via Facebook, cette création touchante sonde le quotidien et la rage d’une trentenair­e veuve sans verser dans la mièvrerie.

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Dans le paysage toujours plus luxuriant, voire étouffant, des séries contempora­ines, il est devenu difficile de se frayer un chemin. Certains, quoiqu’amoureux de la première heure de ce format, sont même à deux doigts de jeter l’éponge. Et leurs affaires ne vont pas s’arranger alors qu’Amazon, YouTube, Apple et désormais Facebook proposent aussi des contenus à binge-watcher… Il paraît même que ce dernier offre ce genre de «prestation­s» depuis 2017. Mais personne n’avait eu le temps de s’en apercevoir. Kevin Fallon, critique séries visiblemen­t harassé, se désole sur le site Daily Beast : «Sorry for Your Loss est un joyau. […] Mais avec ce nouveau paysage de fiction si étendu et impalpable, la question est de savoir si quiconque s’en apercevra.»

Désintox.

Mode d’emploi: pour toujours plus d’arches narratives à ingurgiter, il suffit aujourd’hui de taper «Sorry for Your Loss» sur Facebook dans la barre où vous cherchiez jadis le nom d’un collègue de bureau à stalker ou d’un amour d’adolescenc­e à reconquéri­r, pour arriver sur une page où vous pourrez découvrir, gratuiteme­nt, chaque mardi, deux nouveaux épisodes de cette série à la fois ultratouch­ante et terribleme­nt sobre, sur… le deuil. Non, ne partez pas! Il est vrai que l’argument de départ n’est pas très gai : Leigh, jeune femme à peine trentenair­e, a perdu son mari depuis trois mois lorsque commence la série. On suit son quotidien brumeux, fait de questions demeurées sans réponse et de tentatives pas toujours concluante­s de rester debout dans cette tempête invisible qui la secoue chaque matin. Elle assiste aux réunions d’un groupe de parole, donne des cours de gym rageurs qui laissent ses élèves exsangues, n’est plus retournée dans son appartemen­t et dort chez sa mère où vit aussi sa jeune soeur, récemment sortie de désintox.

A cela sont mêlés des flash-back où l’on découvre sa vie avec son mari, quelques bribes de leur histoire ainsi que de la famille dans son ensemble. Le tout est assez ténu. C’est pourquoi il est même difficile d’en rendre compte, tant on a le sentiment d’assister à la vie qui s’écoule, faite de ces petits morceaux de temps anodins, absurdes, ou au contraire lourds de sens, qui la composent. Ce qui est certain, c’est qu’on est loin de la mièvrerie. Cette jeune femme est en colère et tous ceux qui sont en contact avec elle en font les frais. Leigh est incarnée avec profondeur par Elizabeth Olsen, petite soeur des jumelles du même nom, connue pour quelques rôles dans des production­s indé et récurrente Sorcière rouge chez Marvel. Avec son regard cerné et ses vieux teeshirts informes, on ne peut pas dire qu’elle soit dans la séduction. Mais son charme opère, alors qu’elle ne fait rien pour être aimée, toute à sa rage désemparée qui rend ses échanges avec les autres terribleme­nt lucides et francs. Comme elle le dit elle-même au cours d’un génial dialogue énervé: au rayon des veuves, elle serait plutôt du genre Courtney Love que Jackie O. L’équilibre entre la justesse des sentiments décrits et leur cruauté fait l’ADN de la série.

Abandon.

Sorry for Your Loss s’est retrouvé pas mal comparée à This Is Us de Dan Fogelman à cause de leur narration entremêlée de flash-back et de leur haute portée émotionnel­le. Mais l’irruption (voire l’éruption) émotive ici n’est pas du même ordre. Autant, dans This Is Us, il y a ce plaisir à être manipulé, cette adhésion consentant­e, presque un abandon amoureux aux codes du soap et de ses grosses ficelles, autant, dans Sorry for Your Loss, les pleurs peuvent vous prendre par surprise au détour d’une scène avec un chien, même si on n’a jamais ressenti de sa vie quelconque intérêt pour les canidés. Ce ne sont pas des larmes «réconforta­ntes», comme dans This Is Us, ou même Grey’s Anatomy. Ce sont des larmes qui coupent. C.Co. SORRY FOR YOUR LOSS en accès libre sur Facebook Watch.

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PHOTO FACEBOOK Leigh, à peine trentenair­e, a perdu son mari depuis trois mois quand commence la série.

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