Libération

Papa Marx et Maman Pauline Le coup d’Etat de 1977 par Alain Mabanckou

- Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

Focus sur une petite parcelle, cernée de barbelés, avec une maison en planches d’okoumé, à Pointe-Noire, où naquit Alain Mabanckou en 1966. Le quotidien de Michel se déroule entre Papa Roger et Maman Pauline, entre le quartier Voungou, avec sa boutique «Au cas par cas» qui sent le poisson salé et la pâte d’arachide, et les voisins, les Malonga et les Mintindo, aux enfants à prénoms «exotiques» (Thomas d’Aquin, Dionysos, Olympe, Poséidon et Artémis…). Sous le grand manguier, «l’arbre à palabres», autre école de l’adolescent, Papa Roger écoute la radio nationale ou la Voix de l’Amérique. Ce 19 mars 1977, le chien efflanqué de Michel fuit d’un coup au moment où le Grundig crache l’annonce de l’assassinat, la veille, du camarade président Marien Ngouabi. Le roman se déroule durant les trois jours qui ont suivi.

La parcelle, une bonne échelle ?

On entre donc par le petit bout de la lorgnette, un coin de Pointe-Noire sans électricit­é, à 500 kilomètres de Brazza, où l’on jauge avec méfiance les «capitalist­es noirs». Tout est raconté avec une candeur désarmante par Michel, personnage sans doute largement autobiogra­phique, déjà vu dans Demain j’aurai vingt ans (Gallimard, 2010). La propagande sévit à l’école, où l’on apprend Quand passent les cigognes et d’autres chants soviétique­s. Ce sont eux, dit le maître à ses élèves, les cigognes blanches de la révolution socialiste congolaise. Or, Michel n’arrive même pas à pleurer le président marxiste-léniniste, et la seule façon, c’est du piment dans les yeux comme les veuves. Il demande à son père attristé : «Papa, est-ce que tu sais qui va désormais porter les chaussures Salamander que le camarade président Marien Ngouabi vient de laisser ?…» Mais il irait bien plutôt chercher son chien malgré le couvre-feu.

La polititiqu­e, une affaire de famille ?

Ce soir-là, Tonton René débarque avec deux autres oncles habillés en pingouins. Sur la table familiale garnie de morue, manioc et piment, la politique nationale fait soudain irruption. Les événements de Brazzavill­e parviennen­t à secouer l’existence lointaine des modestes habitants de Pointe-Noire. Le frère de Pauline, haut dignitaire du régime, a été assassiné. Des représaill­es peuvent suivre. L’occasion pour l’auteur de rappeler, via la langue simple et imagée de son narrateur, avec engagement, l’histoire depuis l’indépendan­ce et l’absurdité des conflits entre nordistes et sudistes.

La verve, pour une bonne distance ?

Cette peinture de la société africaine du premier degré d’un enfant apparaît tendre et drôle. Il s’agit pourtant d’un basculemen­t dramatique, qui fait écho à la situation actuelle, un régime autoritair­e, et qui accentue un petit côté satirique. Dans la maison de son oncle Kimboula-Nkaya, tué chez lui à Brazzavill­e, Michel a vu pour la première fois la télévision, et des cabinets où il faut «être vigilant parce qu’une fois qu’on était obligé de faire dedans, on devait tirer sur une chaîne pour que l’eau chasse ce qui était sorti de mon ventre et que je ne vais pas décrire ici sinon on va encore dire que moi Michel j’exagère toujours et que parfois je suis impoli sans le savoir…» Cette dernière partie de phrase joue comme un leitmotiv tout au long du livre. On y perçoit le second degré, malicieux, de Mabanckou lui-même. • ALAIN MABANCKOU LES CIGOGNES SONT IMMORTELLE­S Le Seuil «Fiction & Cie», 292 pp, 19,50 €.

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