GOMMÉ PAR LES JO, LE MASSACRE OUBLIÉ DE TLATELOLCO
Dix jours avant l’ouverture des Jeux de Mexico, le gouvernement du président Díaz Ordaz réprime le mouvement étudiant dans le sang. Entre 30 et 300 victimes : même le bilan de la tuerie est inconnu. Cinquante ans après pourtant le souvenir est vivace et c
Rétrospectivement, les Mexicains disent qu’octobre 1968 a changé leur pays. Mais cinquante ans plus tard, le massacre du 2 octobre à Mexico reste un événement aux contours incertains, sans coupable, sans bilan : entre 30 et 300 morts: l’approximation est la même qu’au premier jour. Ce jour-là, l’armée brisait les protestations étudiantes qui avaient débuté quelques semaines plus tôt. Sur la place des Trois-Cultures, dans le quartier de Tlatelolco, c’est un bain de sang. Entre les vestiges d’un temple aztèque et un complexe d’immeubles modernes, les militaires ouvrent le feu sur une foule de 8000 personnes venues écouter les leaders étudiants sur les avancées des négociations avec le gouvernement du président Gustavo Díaz Ordaz.
Au Mexique, on parle de Tlatelolco comme d’une blessure ouverte. «El 2 de octubre no se olvida [le 2 octobre ne s’oublie pas, ndlr]», entend-on lors de la manifestation annuelle qui exhorte à vaincre le silence et l’injustice qui planent sur cet épisode, encore couvert par le secret d’Etat. Toutefois, le 19 septembre dernier, l’organe de transparence de l’administration fédérale ordonnait de déclassifier les archives officielles liées aux événements de l’époque. Prochainement, les documents de la police et des militaires, ainsi que des photographies des morts et des rapports d’autopsies, pourraient permettre d’en savoir plus sur la tuerie. Ce 2 octobre 1968, le gouvernement est sous pression : les Jeux olympiques doivent s’ouvrir dix jours plus tard et le monde entier aura les yeux braqués sur Mexico. Le régime du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) aux prises avec les étudiants qui contestent son autorité veut par-dessus tout rétablir l’ordre.
«Il suffisait d’une étincelle…»
La révolte avait éclaté en juillet, après une série d’agressions commises par des policiers anti-émeutes contre des étudiants. En écho aux mobilisations de leurs pairs dans d’autres pays, en France ou aux Etats-Unis, la jeunesse lance alors un mouvement animé du même esprit de rébellion contre l’ordre établi. «Mais ici, nous étions confrontés à une répression brutale et à un Etat autoritaire, rappelle Félix Hernández Gamundi, l’un des dirigeants étudiants. Les professeurs, les ouvriers, les mineurs, les médecins, tous s’étaient mobilisés avant nous, et tous avaient été réprimés. En 1968, le Mexique était comme une grande prairie d’herbe sèche. Il suffisait d’une étincelle, et c’est le gouvernement qui l’a allumée en juillet. Notre mouvement était une explosion contre la répression.» En septembre, l’occupation militaire des principaux campus, dont celui de l’Université nationale autonome de Mexico, la plus grande d’Amérique latine, et les arrestations massives de dirigeants du mouvement étudiant et ouvrier électrisent les protestataires. Les manifestations, silencieuses ou festives mais toujours pacifiques, redoublent d’intensité et les cortèges attirent désormais d’autres secteurs de la population, qui s’approprient l’espace public. Le 2 octobre, alors que le meeting étudiant débute place des TroisCultures, des policiers en civil du bataillon Olimpia, infiltrés dans la foule et postés en francs-tireurs sur les toits, ouvrent le feu. Des tirs qui offrent un prétexte à la riposte des militaires. Aux côtés des autres leaders étudiants, depuis le balcon d’un immeuble, Félix Hernández Gamundi voit les manifestants tomber avant de comprendre qu’il doit se jeter lui-même au sol: «Quand les rafales se sont tues, j’ai entendu les tanks entrer sur la place… puis, un bruit d’arrosage. Ils ont tout nettoyé. Ensuite, ce fut le silence.»