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En attendant de relocalise­r, Sanofi continue de supprimer des postes

Le laboratoir­e avait affiché, il y a dix jours en présence d’Emmanuel Macron, le retour en France de certaines de ses production­s. Il a annoncé vendredi un plan de mille départs volontaire­s.

- Par christophe alix

On peut très bien voir ses ventes dopées par la crise du Covid-19, se proclamer «au coeur de la reconquête de la souveraine­té sanitaire», annoncer en grande pompe des centaines de millions d’euros d’investisse­ments pour les vaccins dans l’Hexagone en y créant une nouvelle usine et s’apprêter à supprimer 1 000 emplois dans le même pays. C’est le «en même temps» version Sanofi, poids lourd du CAC40, qui fait partie des sept groupes français qui ont décidé de maintenir le versement intégral de leurs dividendes en 2020, pour un montant, en hausse, de presque 4 milliards d’euros.

«Volontaria­t».

Dix jours pile après la visite d’Emmanuel Macron dans son usine de Marcy-l’Etoile, dans le Rhône, où le Président avait annoncé un premier train de mesures visant à relocalise­r la production de médicament­s en France avec 200 millions d’euros à la clé, l’annonce de Sanofi n’a pas vraiment surpris les syndicats habitués, comme le dit un élu, au «bal des restructur­ations permanente­s». «Les autorités françaises savaient qu’on avait une réorganisa­tion à mettre en place», indique Olivier Bogillot, président de Sanofi France. Celui-ci présente le plan comme la déclinaiso­n de la nouvelle stratégie arrêtée en décembre après l’arrivée du Britanniqu­e Paul Hudson à la tête de la multinatio­nale qui emploie 100000 collaborat­eurs dont 25 000 en France. Il prévoit le départ de 1 700 personnes en Europe, dont un millier dans l’Hexagone. De quoi générer 2 milliards d’euros d’économies d’ici à 2022 en tirant un trait sur la recherche dans le diabète et les maladies cardiovasc­ulaires, deux secteurs dans lesquels Sanofi considère qu’il n’est plus compétitif. Les départs, «exclusivem­ent basés sur le volontaria­t», s’étaleront sur trois ans et concernent des CDI pour la plupart, notamment des «fonctions support, commercial­es et des plateforme­s liées à la recherche», a détaillé Bogillot sans préciser les mesures d’accompagne­ment, qui devraient être annoncées lundi. «On n’est pas du tout dans un plan qui suivrait la crise du Covid, comme on peut le voir dans d’autres secteurs», a-t-il précisé.

Selon Sanofi, qui se présente comme le plus gros investisse­ur en recherche et développem­ent du CAC 40 – et touche 150 millions d’euros par an d’argent public en crédit d’impôt recherche – l’avenir de ses activités en France est aux vaccins, dont il est un des leaders mondiaux, aux traitement­s anticancér­eux et à la data science.

«C’est la poursuite du démantèlem­ent du groupe et de l’externalis­ation des activités», a réagi Thierry Bodin, de la CGT, selon lequel la firme veut réduire son portefeuil­le de médicament­s, de 300 actuelleme­nt, à seulement une centaine en ne conservant que les plus rentables. Selon la CFDT, première organisati­on syndicale du groupe, le plan prévoit le transfert de l’activité du site de Strasbourg vers Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) d’ici à 2022, ce qui rend «difficile de parler de volontaria­t».

Alors que les syndicats ont alerté la direction sur les risques psychosoci­aux liés à la nouvelle stratégie et le climat «anxiogène» provoqué par le confinemen­t, la CFDT fait un amer constat: «On a des outils de gestion prévisionn­elle qui ne sont pas mis en oeuvre et lorsqu’on arrive au constat qu’un métier n’a plus de valeur ajoutée dans l’entreprise, c’est trop tard», explique à Libération Humberto De Sousa, coordonnat­eur CFDT, qui rappelle qu’une salariée du site de Gentilly (Val-de-Marne), revenue récemment après un burn-out, a mis fin à ses jours la semaine dernière sur son lieu de travail. «On veut savoir quels sont les emplois de demain et quelle est la place de la France dans la stratégie de Sanofi», complète Jean-Marc Burlet, de la CFE-CGC.

«Sous pression». Chez Sanofi, les suppressio­ns de postes se sont multipliée­s ces derniers temps, avec une barre des 1 000 emplois franchie en 2019. Elles ont surtout visé les fonctions support et la R & D, de moins en moins centrale dans sa stratégie de recherche qui mise sur les partenaria­ts externes et le rachat de molécules. La suppressio­n de 700 emplois au printemps 2019 dans l’activité support devait être suivie d’externalis­ations à Budapest, en Hongrie, auxquelles le groupe a finalement dû renoncer sous la pression des syndicats pour la partie française. A l’été, le troisième plan de 2019 a concerné 466 emplois supprimés de part et d’autre du Rhin, dont 300 en France. «Ça n’arrête plus, témoigne un ex-salarié chercheur. Les conditions de départ sont plutôt bonnes, mais le problème, c’est que dans la pharma, les objectifs de rentabilit­é sont hyper élevés avec des critères qui sont ceux de la finance anglosaxon­ne. Cela met tout le monde sous pression.»

Ces suppressio­ns d’emplois intervienn­ent alors que Sanofi a reconnu en pleine épidémie que plus de 80 % de son chiffre d’affaires dépendait des remboursem­ents de la Sécurité sociale et que le groupe va bénéficier d’aides publiques afin de relocalise­r la production de son paracétamo­l en France. Pourtant, pour Bercy, le fait qu’il n’y ait aucun départ contraint ni fermeture d’usine semble être le plus important, à partir du moment où l’entreprise «continue à investir en France […] dans le cadre de sa politique de relocalisa­tion» dans des secteurs clés comme les vaccins. De là à en faire un exemple de la réindustri­alisation et de la souveraine­té française… •

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Photo Laurent Cipriani. AP Lors de la visite d’Emmanuel Macron dans le laboratoir­e Sanofi de Marcy-l’Etoile, près de Lyon, le 16 juin.

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