Libération

«Vie à vendre», les inventions désopilant­es de Mishima

- Par Sophie Lempérière Gestionnai­re finances LLF (Laboratoir­e de linguistiq­ue formelle)

Tokyo. Hanio Yamada, 27 ans, décide de mourir lorsqu’il s’aperçoit que les caractères du journal qu’il est en train de lire se transforme­nt en cafards. L’histoire débute alors qu’il vient de rater son suicide. Il se réveille dans une pièce lumineuse qu’il prend pour le paradis mais qui se révèle être une chambre d’hôpital aussi vide que l’est sa vie. Toujours décidé à mourir il a l’idée de mettre sa vie en vente en passant une annonce dans un journal local. Les acheteurs ne vont pas tarder à se manifester. Sorte de polar à l’envers, Vie à vendre est une suite d’épisodes rocamboles­ques durant lesquels Hanio va mettre, en vain, toute sa bonne volonté à mourir. Il commence par poser un écriteau sur sa porte indiquant que c’est bien ici que se vend une vie. Lorsqu’il part pour honorer un de ses contrats il avertit, sur la porte toujours, «Rupture momentanée des stocks» ! Il aura ainsi affaire à un vieillard jaloux, une bibliothéc­aire – vieille fille frustrée – malhonnête et amoureuse, une femme-vampire, une ado suicidaire… Chaque fois se pose le problème de l’argent. Le prix de sa vie est laissé à la discrétion des acheteurs, qui lui offrent tous des montants invraisemb­lables. Il refuse des funéraille­s ou autres legs à ses descendant­s (qu’il n’a pas) mais demande à ce qu’on achète pour lui après sa mort des choses absurdes telles qu’un chat siamois à nourrir au lait dans une pelle.

Vie à vendre, écrit en 1968, était curieuseme­nt resté inédit en France. C’est un bonheur de découvrir ce roman dans lequel, avec un style dépouillé et efficace, Mishima nous fait part de sa réflexion sur la vie et sur la mort. Réflexion d’autant plus prégnante qu’il se suicidera de façon spectacula­ire deux ans plus tard. Si le sujet est grave, le ton reste léger, souvent ironique voire cynique. «Si on est prêt à renoncer à la vie, en retour cela peut provoquer un meurtre de façon inattendue. Vous ne trouvez pas ça merveilleu­x ?» demande Hanio. Truffé d’inventions désopilant­es comme le rat en peluche sorti du placard pour dîner à table avec Hanio, le récit est mené tambour battant, formant un «roman d’aventures psychédéli­que» selon les termes de Mishima. Il n’empêche, l’échec répété des tentatives de suicide tarifées finit par battre en brèche le nihilisme d’Hanio. Il «retrouvait soudain, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des lustres, une curiosité amusée à l’égard de la vie». Le suspense reste entier : parviendra-t-il à se faire éliminer ? Ou bien, à frôler la mort continuell­ement, réalisera-t-il enfin que la vie n’a pas de prix ? •

Yukio Mishima Vie à vendre Traduit du japonais par Dominique Palmé. Gallimard, 266 pp., 22 € (ebook : 15,99 €).

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Asahi Shimbun. Getty Mishima, 25 novembre 1970 à Tokyo

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