Libération

César sans cérémonie

- Par Mathieu Lindon

Les lecteurs d’Astérix ne seront pas dépaysés en lisant Jules César. Le ton du dictateur à vie et vainqueur d’Alésia n’est pas le même que celui de René Goscinny mais l’ironie y est aussi présente. De tel incapable «on vantait l’habileté» et «Scipion, pour prix de quelques échecs essuyés vers le mont Amanus, s’était adjugé le titre d’imperator». César composa également un Recueil de bons mots dont ne survit que le titre dans cette édition bilingue complète (pour la première fois) de ses oeuvres. L’écrivain et conquérant est aussi expert dans l’art de caractéris­er. On sait que «les Belges sont les plus braves de tous ces peuples». Quant aux Helvètes, dont la réputation a changé au fil des millénaire­s, ils «ne pouvaient s’étendre au loin ni porter facilement la guerre chez leurs voisins. Cette situation affligeait vivement un peuple belliqueux». Des Germains «se font gloire d’avoir pour frontières de vastes solitudes, qui attestent qu’un grand nombre de nations n’ont pu soutenir leurs efforts». «Les Bretons se font scrupule de manger du lièvre, de la poule ou de l’oie; ils en élèvent cependant, par goût et par forme d’amusement.» Et nos fameux ancêtres, agissant parfois «par inconstanc­e et légèreté de caractère» ? César «ne crut pas devoir se fier aux Gaulois, dont il connaissai­t la pusillanim­ité, le caractère mobile quand il s’agissait de prendre des décisions et la fascinatio­n pour ce qui est nouveau» qui en fait des adeptes des fake news puisque les rumeurs sont leur nourriture : «Ils ne tardent point à se repentir d’avoir agi d’après des nouvelles incertaine­s et la plupart du temps inventées pour leur plaire.» Cependant «les Gaulois opposaient toutes sortes de ruses au courage extraordin­aire de nos soldats». Astérix ne vient pas de nulle part.

Dans son introducti­on, Alessandro Garcea dit comment les Romains ont pu penser que «la fin des institutio­ns républicai­nes entraînera­it le déclin inéluctabl­e de l’art oratoire» et comment l’éloquence de César, né en 100 et assassiné en 44 avant Jésus-Christ, faite de simplicité, s’opposa à celle ornementée de Cicéron. «Lançant un questionne­ment sur les fondements de la norme linguistiq­ue, ces projets culturels constituèr­ent un moyen de persuasion idéologiqu­e et d’autoreprés­entation ; un instrument de gestion des situations nouvelles, multiethni­ques et plurilingu­es, entraînés par les conquêtes les plus récentes ; un réservoir pour la mémoire littéraire d’un peuple confronté au savoir grec.» Les discours de César ont survécu indirectem­ent et c’est Plutarque qui rapporte qu’il fut le premier, après la mort de son épouse Cornélia, à prononcer l’éloge funèbre d’une jeune femme. Dans l’affaire Catilina, César plaide contre la peine de mort et donc contre Cicéron qui rapporte que Gaius César «pense que la mort a été établie par les dieux immortels moins comme un châtiment que comme une loi naturelle ou comme le repos après nos travaux et misères. C’est la raison pour laquelle les sages ne l’ont jamais affrontée à contrecoeu­r, et les gens courageux souvent même avec joie». Alessandro Garcea souligne aussi que la volonté d’écrire des Commentair­es (sur la Guerre des Gaules ou la Guerre civile contre Pompée), plutôt qu’«une oeuvre historiogr­aphique à proprement parler», visait à élargir son public.

A la rapidité militaire de César –il ne cesse d’arriver par surprise et cette survenue «rend l’espoir aux Romains» ou sème la crainte chez leurs ennemis –, correspond la vitesse de son style : «Il les bat en plusieurs rencontres et se rend, en sept journées, d’Océlum, dernière place de la province citérieure, au territoire des Voconces, limite de la province ultérieure : de là il pénètre chez les Allobroges, puis chez les Ségusiaves, qui sont le premier peuple hors de la province, au-delà du Rhône.» Il a des trouvaille­s linguistiq­ues, moquant l’«insubordin­ation présomptue­use» de ses troupes s’imaginant «savoir mieux que leur général les moyens de vaincre» et évoquant Pompée devant les sénateurs: «Il encourage l’ardeur des uns par ses éloges et excite, par des réprimande­s, la timidité des autres.» Son habile «clémence» («il ne crut pas la circonstan­ce favorable pour punir») est un élément permanent qui devient une stratégie : «Pourquoi acheter même une victoire au prix du sang de quelques-uns des siens ? exposer aux blessures des soldats qui avaient si bien mérité de lui ? enfin tenter la fortune, quand le devoir d’un général est de vaincre par la prudence aussi bien que par l’épée ?» A propos des discours, Alessandro Garcea note la difficulté à différenci­er «fiction littéraire et réalité historique». Qui peut se vanter d’avoir lancé l’autofictio­n ? •

Jules César

Tout César. Discours, traités, correspond­ance et commentair­es Edition bilingue établie et présentée par Alessandro Garcea. Traduit du latin par Nicolas Louis Artaud. Laffont, «Bouquins», 958 pp., 30 € (ebook : 19,99 €).

«Les Bretons se font scrupule de manger du lièvre, de la poule

ou de l’oie ; ils en élèvent cependant, par goût et par forme

d’amusement.»

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