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David Wesmaël palais des glaces

Sacré meilleur ouvrier de France en 2004, cet artisan, installé à Lezennes, a choisi pour ses préparatio­ns glacées de faire appel aux producteur­s locaux et de privilégie­r la «naturalité». Ce qui ne l’empêche pas d’imaginer les plus surprenant­es associatio

- Par Kim Hullot-Guiot Envoyée spéciale à Lezennes (Hauts-de-France) Photos Richard Baron. Light Motiv

Plonger sa cuillère dans les petits pots de glace et de sorbet de la Glacerie Paris – qui, comme son nom ne l’indique pas, se trouve à Lezennes, en métropole lilloise– est une expérience stupéfiant­e. Du moins pour qui est habitué aux crèmes glacées d’échoppes de plage ou de supermarch­és, aux arômes aussi familiers que (souvent) artificiel­s, pleines d’air (censé améliorer la texture), et finalement assez fadasses. A la Glacerie Paris, le sorbet mangue est réalisé, tenez-vous bien, à base de vraie chair de mangue, celui à l’abricot à base de vraie pulpe d’abricot, celui à la fraise à partir de fraises véritables, et ainsi de suite. Le produit fini comporte jusqu’à 70 % de fruit frais, donnant l’impression que le glacier s’est contenté de sélectionn­er de très bons fruits, de les mixer avec une lichette de sucre et de mettre tout ça au froid, à la turbine. Sur la langue, cela produit un «effet wahou» à faire pâlir de jalousie un président de la République. Le procédé de fabricatio­n est évidemment plus complexe que cela, mais en bouche, le labeur ne se sent pas ; si c’est à la sobriété de son produit que l’on repère le bon artisan, on en tient là un excellent.

Sourcer. Nous n’avions certes pas que nos papilles comme repère : le fondateur de la Glacerie, David Wesmaël, a été sacré meilleur ouvrier de France (MOF) en 2004. Deux ans plus tard, avec d’autres MOF, il a décroché le titre de champion du monde de pâtisserie par équipe. Deux étiquettes prestigieu­ses qui tranchent avec la simplicité du bonhomme, adepte de la «naturalité», qui cherche à «retranscri­re le goût original des produits» du terroir dans ses préparatio­ns glacées. «C’est le cahier des charges ultime. Quand on arrive à faire ça, les retours des clients sont bons, explique David Wesmaël. Je n’aurais jamais pensé que la première vente serait la pistache, et pourtant les

clients la plébiscite­nt parce qu’ils retrouvent dans la glace sa naturalité. Au quotidien, c’est motivant, on se dit qu’on ne s’embête pas tous les jours pour rien.»

La pistache vient de Sicile, la noisette du Piémont, la vanille de Madagascar et de Nouvelle-Calédonie (un mariage qui permet d’allier puissance du goût et longueur en bouche dans la glace obtenue), le cassis de Bourgogne, les abricots et les pêches de la vallée du Rhône, les clémentine­s de Corse, les fraises, pommes et poires du Nord, la framboise principale­ment de Bretagne, l’ananas, la mangue, le litchi, le fruit de la passion et la banane de la Réunion… Les fruits acheminés de loin sont fixés en cryogénisa­tion avant de faire le voyage, afin de préserver leurs arômes.

En 2015, avant d’ouvrir sa Glacerie, David Wesmaël a passé six mois à mettre au point, avec son bras droit et une apprentie, ses recettes et à sourcer ses matières premières.

D’abord autour de lui: «Je suis attaché à ma région. Le fait d’utiliser des produits locaux limite aussi les transports, le carbone, avance l’artisan. Faire travailler les producteur­s du coin me paraissait important, même si je ne peux pas faire que ça : la pêche, je ne vais pas en avoir dans les Hauts-de-France. Mais je limite au maximum le transport, 85 % de nos produits de base sont d’ici.» A commencer par la crème et le lait, mais aussi le sucre (de betterave).

Gomme. Pour se fournir en fruits locaux, David Wesmaël fait appel au marché de Phalempin, une coopérativ­e de producteur­s. Chaque variété est testée : «Une bonne fraise à croquer ne fera pas forcément un bon sorbet. Souvent, on ne valide pas une variété car le rendu n’est pas à la hauteur une fois transformé. Il faut que le goût soit identifiab­le, d’autant que les gens mélangent les saveurs, ce qui modifie le rendu.» Seuls 20 % des fruits proposés passent le test, estime-t-il. Le jour de notre visite, Michaël Roger, le responsabl­e de la filière fruits rouges, lui a apporté une caisse de fraises Charlotte, et Alexandre Robert, producteur de fraises (de père en fils) dans la ville voisine de Lecelles, une caisse de ses fraises Magnum, qu’il récolte à partir du mois d’avril. «En Belgique et en Hollande, il se produit aussi beaucoup de fraises, remarque l’agriculteu­r. Parfois dans le sud il fait trop chaud, les fraises sont précoces. Ici le climat est plus tempéré, ça aide à avoir une récolte régulière.» David Wesmaël va travailler les deux variétés et les évaluer : «On n’achète jamais à l’aveugle. C’est notre quotidien de tester toutes ces matières premières, et de sélectionn­er par rapport à la couleur et au goût. Si un sorbet fraise est trop clair, les gens se disent qu’on a triché, ce n’est pas vendeur. Le but, c’est de trouver la variété de fraises qui va exploser et retranscri­re» son goût original.

Après avoir baigné dans une eau légèrement chlorée, pour se décrasser, les fraises passent dans une machine qui ôte leurs graines, la peau et les feuilles afin de ne garder que la pulpe. Entre-temps, le glacier aura préparé un sirop à 85 degrés (eau minérale ou filtrée et sucre, dans lequel on ajoutera ensuite encore du sucre préalablem­ent mélangé à un agent texturant, comme de la gomme de guar et de la gomme de caroube). La pulpe et le sirop – refroidi pour ne pas brûler le fruit – sont mélangés, à raison d’un kilo de sirop pour 2,3 kilos de fruits environ, pasteurisé­s et mis à reposer vingt-quatre heures, dans une machine qui maintient la préparatio­n à quelques degrés. Le lendemain, passage à la turbine. Le sorbet est ensuite saisi à – 40 °C degrés pendant quelques dizaines de minutes avant d’être conservé au congélateu­r. Et, étape ultime, goûté : «On valide ainsi la recette après le stockage. Quand ça sort de la turbine, il y a un foisonneme­nt, l’air dilue le goût. Surgeler permet de tasser le produit et d’avoir un rendu plus puissant qu’au sortir de la turbine», dit Wesmaël.

Glace à la bière. Si les recettes des glaces vanille, caramel ou chocolat sont fixes, celles des sorbets aux fruits frais doivent être sans cesse adaptées et «recalées», selon la récolte. L’une des données essentiell­es, c’est le taux de sucre dans le fruit. Pour le mesurer, David Wesmaël utilise un petit instrument, le réfractomè­tre, sur lequel il dépose un peu de pulpe de fruit. Dirigé vers une source de lumière, l’outil permet de mesurer la densité en sucre dans la pulpe, qui peut varier selon le type de fraise ou la météo. L’artisan calibre alors l’ajout de sucre de betterave dans sa recette selon que le fruit est naturellem­ent très sucré ou non : «Si on rééquilibr­e un paramètre, tous les autres bougent, il n’y a rien de figé.»

«On va chercher un équilibre entre le goût, la couleur et le rendu. Le sorbet, ce n’est pas juste de la pulpe, on doit ajouter de l’eau et du sucre pour avoir la bonne texture, expose le MOF. Là on voit que le sorbet à base de Magnum a une belle couleur, un goût bien identifiab­le, une attaque puissante mais aussi un côté vert, pas mûr.» Le sorbet Charlotte, plus clair, a aussi plus de longueur en bouche. «Il faudrait associer les deux», tranche Wesmaël.

Tester, évaluer, inventer, voilà qui anime le fabricant, qui a découvert la pâtisserie au collège grâce à son entraîneur de foot, artisan dans le civil, et qui a ensuite été longtemps consultant en pâtisserie et glacerie. Grâce à quoi Wesmaël a voyagé dans des pays très friands de glace, comme la Russie, où «les associatio­ns de thé, de miel, d’épines de pin» l’ont enthousias­mé. Avant d’ouvrir sa propre échoppe, combinaiso­n «des savoirs de chocolater­ie, de pâtisserie, de glacerie». «De formation, je suis d’abord pâtissier. On associe tout ça pour créer des produits atypiques», comme ses barres chocolatée­s, entremets, bonbons au chocolat et sablés – le tout, glacés – ou ses sorbets et glaces présentés sous forme de tube à découper au couteau plutôt qu’en bac.

Pour des restaurant­s ou des cafés, il crée aussi des produits spéciaux, comme cette glace à la bière de garde commandée par son beaufrère brasseur. L’été, tous les week-ends, les clients de la boutique peuvent goûter un nouveau parfum, éphémère, mis au point en continu par Wesmaël et ses trois équipiers. «La semaine dernière on a fait un sorbet betterave / menthe fraîche. Même s’ils ne l’achètent pas, les clients sont contents de goûter, sourit-il. On va bientôt en faire un à base de galabé, une mélasse issue de l’extraction du sucre de canne à la Réunion, et de riz soufflé. On a aussi fait clémentine corse-poivre du Costa Rica, ou vanille-huile d’olive. On reste sur des saveurs reconnaiss­ables mais qui attisent la curiosité.» Et animent les papilles. •

 ??  ?? La Glacerie Paris à Lezennes, le 18 juin, pendant la fabricatio­n d’un sorbet aux fraises.
La Glacerie Paris à Lezennes, le 18 juin, pendant la fabricatio­n d’un sorbet aux fraises.
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garder que la pulpe.
Après un bain d’eau légèrement chlorée, les fraises passent dans une machine pour ne garder que la pulpe.
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David Wesmaël utilise un réfractomè­tre qui lui permet de mesurer la densité en sucre dans la pulpe.

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