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Le début d’un long chemin pour les propositio­ns de la Convention

Macron a affirmé lundi être prêt à s’emparer de la quasi totalité des 149 idées exposées. Mais les conditions floues de leur mise en oeuvre leur promettent des destins disparates.

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Il est si fier de sa réponse à la Convention citoyenne pour le climat (CCC) qu’Emmanuel Macron s’est lui-même attribué une note. Le «citoyen score», une formule pour indiquer le degré de mesures issues du rapport final de ses 150 membres reprises par l’exécutif, «doit être autour de 98 %» : «C’est pas mal, s’est-il compliment­é. Mais vous allez le suivre avec moi.» Au nom du «contrat moral» qui le lie à la Convention citoyenne, le président de la République a rappelé, lundi, sa promesse de transmettr­e «sans filtre» – au Parlement, au gouverneme­nt ou au peuple français via un référendum – les 149 propositio­ns qui lui ont été remises, «à l’exception de trois d’entre elles». Et souhaité que «toutes [celles] qui sont prêtes soient mises en oeuvre au plus vite». Difficile, pour l’heure, de savoir quelles mesures le seront réellement, comment et quand. Un flou dénoncé par plusieurs responsabl­es d’ONG, le patron de Greenpeace France, Jean-François Julliard, qualifiant par exemple le discours du Président d’«épais brouillard».

Quel calendrier et quelle méthode Macron a-t-il retenus ?

Le paquet de propositio­ns qui relèvent du champ réglementa­ire sera abordé «d’ici fin juillet», lors d’un prochain Conseil de défense écologique, un Conseil des ministres restreint dédié aux questions d’environnem­ent. D’autres, mais le chef de l’Etat n’en a pas livré la liste précise, seront intégrées au plan de relance, vendu par Macron comme «économique, écologique et social». Celui-ci sera soumis au Parlement dès la fin de l’été et sera abondé de «15 milliards d’euros supplément­aires sur deux ans» pour assurer la «conversion écologique de notre économie».

Au même moment doit être présenté un projet de loi «spécifique» qui intégrera «l’ensemble des mesures» relevant du champ législatif. Emmanuel Macron a promis d’«associer étroitemen­t» les citoyens de la Convention à la préparatio­n de ce texte, en particulie­r pour les préconisat­ions «qui méritent encore d’être affinées ou complétées». Il compte aussi mettre dans la boucle les associatio­ns d’élus concernés par un volet de solutions (augmentati­on du nombre de parking relais, interdicti­on des véhicules polluants dans les centres-villes ou encore instaurati­on de clauses environnem­entales dans les marchés publics). Ce projet de loi pourrait prendre la forme d’une loi d’orientatio­n comportant de grands principes généraux, comme la loi «Grenelle 1» de 2009.

Emmanuel Macron a par ailleurs assuré «partager» certains sujets qui relèvent de l’échelon européen, comme la taxe carbone aux frontières ou le verdisseme­nt de la politique agricole commune (PAC). Et souhaité que le gouverneme­nt fasse le point chaque mois avec les citoyens sur le suivi des mesures.

Quelles mesures a-t-il saluées ?

Le chef de l’Etat a qualifié le projet de la CCC de «cohérent» et d’«humaniste», et assuré qu’il y «adhère». Il soutient d’abord l’idée de «placer l’écologie au coeur du modèle économique», pour «produire différemme­nt» – ce qui, pour lui, exclut la décroissan­ce. Le Président retient de l’épais rapport de la CCC qu’il faut «investir dans les transports propres, rénover nos bâtiments, inventer les industries de demain». Et propose d’investir aussi dans des domaines non traités par la Convention, «comme les énergies décarbonée­s, les réseaux ou la préservati­on des ressources en eau». Sans beaucoup plus de précisions.

Affirmant que remettre plus d’écologie dans notre modèle productif, c’est «renforcer l’indépendan­ce européenne et française», Emmanuel Macron a pris l’exemple de la souveraine­té alimentair­e, et cité les propositio­ns de la CCC visant à renforcer notre capacité à produire nos propres protéines, pour «aller vers la suppressio­n de nos importatio­ns de protéines sous OGM qui viennent du bout du monde» afin de nourrir le bétail.

Au nom de la «justice sociale», le chef de l’Etat a salué plusieurs mesures de la CCC : les chèques alimentair­es «qui permettent aux plus modestes d’acheter des produits de qualité», des aides renforcées à l’acquisitio­n de véhicules propres ou l’interdicti­on des passoires thermiques –un «débat très compliqué». Quant à la taxe carbone, qu’il a citée dès le début de son discours, rappelant qu’elle avait été à l’origine de la crise des gilets jaunes et de la création de la Convention en 2019, il a rappelé que «la fixation d’un prix du carbone est l’un des moyens les plus puissants pour réussir notre objectif» de lutte contre le changement climatique. Mais il a validé la suggestion de la CCC de poursuivre le moratoire sur sa hausse en France et de défendre une «taxe carbone européenne», aux frontières. Un «travail de conviction» qu’il s’est engagé à commencer illico… sachant que la tâche risque d’être rude puisque l’idée, sur le tapis à Bruxelles depuis des années, y a été rejetée jusqu’ici.

Sur le plan national, Macron suggère de «réfléchir à une transforma­tion profonde de notre fiscalité pour intégrer une juste tarificati­on du carbone, mais qui suppose de réformer les autres impôts pour rendre cette taxation juste». Une réforme de notre fiscalité qui, «à coup sûr, alimentera les débats de 2022»… et qu’il repousse donc au prochain quinquenna­t. Macron a également salué les propositio­ns de la CCC visant à mettre fin à la bétonisati­on : division par deux des espaces urbanisabl­es, sanctuaris­ation des espaces agricoles, naturels ou forestiers, moratoire sur les nouvelles zones commercial­es en périphérie des villes (lire ci-contre)… «Allons-y», a-t-il lancé, avant d’en appeler au «changement des comporteme­nts de chacun», entreprise­s et citoyens. Et de mettre en avant «toutes les mesures de formation et d’incitation» proposées par la CCC (éducation au développem­ent durable dès l’école ou «CO2 score» «qui doit permettre à chacun de savoir si ce qu’il mange ou achète est bon pour le climat»).

Trois «jokers»… et quelques autres cachés ?

Quand il était venu échanger avec les membres de la CCC en janvier, Emmanuel Macron s’était entrouvert une porte de sortie. «Un cas de figure peut être de vous dire que je ne suis pas d’accord» sur une partie des solutions préconisée­s, anticipait-il, tout en assurant ne pas avoir «fait cet exercice pour en arriver là». Il a, lundi, sorti de sa manche trois «jokers», stoppant ainsi l’idée d’un prélèvemen­t annuel de 4 % sur les dividendes des entreprise­s audessus de 10 millions d’euros et de 2 % pour les entreprise­s dont les dividendes sont inférieurs. Ce projet de taxe devait alimenter un fonds dédié à la transition écologique. «Mettre sur tous les investisse­ments une taxe, c’est réduire notre chance d’attirer les investisse­ments supplément­aires», a évacué Emmanuel Macron. Quitte à se priver d’une piste de financemen­t.

Sans surprise, le chef de l’Etat écarte aussi la réduction de la vitesse sur autoroute de 130 à 110 km / h. Les 150 avaient eux-mêmes âprement débattu de son opportunit­é, avant d’approuver l’objectif à près de 60 % : selon le rapport final, en contrepart­ie d’un allongemen­t modéré des temps de trajets, cette solution aurait permis de réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre sur ces transports et, au passage, de faire des économies. Mais deux ans après le tollé contre la décision de baisser la vitesse sur certaines routes à 80 km / h, le pataquès n’a pas loupé, agité notamment par les associatio­ns d’automobili­stes. «Faisons maturer ce débat dans la société mais ne donnons jamais le sentiment à certains concitoyen­s qu’on les culpabilis­e ou qu’on les met à l’écart», préconise Macron, qui

parle d’expérience : «J’ai présenté beaucoup de grands plans ambitieux qui ont parfois été résumés à une petite phrase. Ce serait injuste que tout votre travail soit résumé à une propositio­n.» Le troisième veto porte sur l’ajout d’un alinéa au préambule de la Constituti­on afin de proclamer que «la conciliati­on des droits, libertés et principes […] ne saurait compromett­re la préservati­on de l’environnem­ent». Une rédaction qui ne convient pas à Macron, lequel refuse de «mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains».

Sans assumer de les rejeter explicitem­ent, le Président a aussi exprimé des nuances, voire des réserves sur d’autres sujets. Ainsi de la création d’un crime d’écocide qui ne l’a jamais enthousias­mé, à moins de porter le dossier dans des discussion­s internatio­nales. Tout juste a-t-il prévu de regarder «avec l’appui des juristes comment ce principe peut entrer dans le droit français dans le respect de nos principes fondamenta­ux». le rejet par référendum du traité constituti­onnel européen. Au bout du compte, les 150 suggéraien­t de consulter les électeurs sur deux modificati­ons de la Constituti­on et sur l’écocide. Macron retient l’idée de graver dans le marbre de l’article premier de la Constituti­on «la préservati­on de la biodiversi­té, de l’environnem­ent et [la] lutte contre le dérèglemen­t climatique». Mais avant d’être soumise à référendum, cette révision constituti­onnelle doit être votée en termes identiques par les deux chambres. Un débat que le Président «souhaite voir aboutir d’ici 2021» pour le soumettre ensuite à l’arbitrage des électeurs… à

«

condition que le Sénat – majoritair­ement à droite aujourd’hui, avant le renouvelle­ment de septembre – consente à toucher au texte de 1958 pour y faire cet ajout. Une rédaction similaire était prévue par l’exécutif dans sa réforme constituti­onnelle, au point mort depuis deux ans.

Macron laisse aussi planer une autre option, que les 150 ne lui ont, pour le coup, pas soufflée. «Sur un ou plusieurs textes de loi reprenant les propositio­ns» de la Convention et «si les choses ne vont pas assez vite», un référendum pourrait être convoqué en 2021, sur la base cette fois de l’article 11 de la Constituti­on. «Je vous ai fait confiance […]. Ensemble, nous pouvons aussi, au moment où nous le choisirons, sur des sujets qui peut-être bloqueraie­nt, faire confiance aux Français», a-t-il suggéré, jouant le partenaria­t à durée indétermin­ée avec les 150. Ce scénario d’une consultati­on à choix multiples – en réalité, plusieurs référendum­s le même jour– portant sur des sujets concrets dans le quotidien des Français, était poussé par certains macroniste­s. Le chef de l’Etat s’est contenté lundi d’ébaucher cette possibilit­é qu’il garde encore dans son jeu. Comme un ultime joker ?

Laure Equy et Coralie Schaub

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Photo Denis Allard Lors d’un atelier de la Convention citoyenne pour le climat, à Paris, le 11 janvier.

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